«Quand la sonnerie a encore retenti, que la porte du box s'est ouverte, c'est le silence de la salle qui est monté vers moi, le silence, et cette singulière sensation que j'ai eue lorsque j'ai constaté que le jeune journaliste avait détourné les yeux. Je n'ai pas regardé du côté de Marie. Je n'en ai pas eu le temps parce que le président m'a dit dans une forme bizarre que j'aurais la tête tranchée sur une place publique au nom du peuple français...»
«En somme, je vais parler de ceux que j'aimais», écrit Albert Camus dans une note pour Le Premier Homme. Le projet de ce roman auquel il travaillait au moment de sa mort était ambitieux. Il avait dit un jour que les écrivains «gardent l'espoir de retrouver les secrets d'un art universel qui, à force d'humilité et de maîtrise, ressusciterait enfin les personnages dans leur chair et dans leur durée». Il avait jeté les bases de ce qui serait le récit de l'enfance de son «premier homme». Cette rédaction initiale a un caractère autobiographique qui aurait sûrement disparu dans la version définitive du roman. Mais c'est justement ce côté autobiographique qui est précieux aujourd'hui. Après avoir lu ces pages, on voit apparaître les racines de ce qui fera la personnalité de Camus, sa sensibilité, la genèse de sa pensée, les raisons de son engagement. Pourquoi, toute sa vie, il aura voulu parler au nom de ceux à qui la parole est refusée. La voix juste et précise de Sébastien Pouderoux illumine ce récit des origines et nous emporte dans un voyage saisissant à travers l'Algérie du début du XX? siècle.
TSur le pont, je passai derricre une forme penchée sur le parapet, et qui semblait regarder le fleuve. De plus prcs, je distinguai une mince jeune femme, habillée de noir. Entre les cheveux sombres et le col du manteau, on voyait seulement une nuque, fraîche et mouillée, ´r laquelle je fus sensible. Mais je poursuivis ma route, aprcs une hésitation. [...] J'avais déj´r parcouru une cinquantaine de mctres ´r peu prcs, lorsque j'entendis le bruit, qui, malgré la distance, me parut formidable dans le silence nocturne, d'un corps qui s'abat sur l'eau. Je m'arretai net, mais sans me retourner. Presque aussitôt, j'entendis un cri, plusieurs fois répété, qui descendait lui aussi le fleuve, puis s'éteignit brusquement.t
«En février 1905, à Moscou, un groupe de terroristes, appartenant au parti socialiste révolutionnaire, organisait un attentat à la bombe contre le grand-duc Serge, oncle du tsar. Cet attentat et les circonstances singulières qui l'ont précédé et suivi font le sujet des Justes. Si extraordinaires que puissent paraître, en effet, certaines des situations de cette pièce, elles sont pourtant historiques. Ceci ne veut pas dire, on le verra d'ailleurs, que Les Justes soient une pièce historique. Mais tous les personnages ont réellement existé et se sont conduits comme je le dis. J'ai seulement tâché à rendre vraisemblable ce qui était déjà vrai... La haine qui pesait sur ces âmes exceptionnelles comme une intolérable souffrance est devenue un système confortable. Raison de plus pour évoquer ces grandes ombres, leur juste révolte, leur fraternité difficile, les efforts démesurés qu'elles firent pour se mettre en accord avec le meurtre - et pour dire ainsi où est notre fidélité.» Albert Camus.
Avec Le Malentendu et Caligula, Albert Camus fait appel à la technique du théâtre pour préciser une pensée dont L'Étranger et Le Mythe de Sisyphe - sous les aspects du roman et de l'essai - avaient marqué les points de départ. Est-ce à dire que l'on doive considérer le théâtre d'Albert Camus comme un «théâtre philosophique»? Non - si l'on veut continuer à désigner ainsi cette forme périmée de l'art dramatique où l'action s'alanguissait sous le poids des théories. Rien n'est moins «pièce à thèse» que Le Malentendu, qui, se plaçant seulement sur le plan tragique, répugne à toute théorie. Rien n'est plus «dramatique» que Caligula, qui semble n'emprunter ses prestiges qu'à l'histoire. Mais la pensée est en même temps action et, à cet égard, ces pièces forment un théâtre de l'impossible. Grâce à une situation (Le Malentendu) ou un personnage (Caligula) impossible, elles tentent de donner vie aux conflits apparemment insolubles que toute pensée active doit d'abord traverser avant de parvenir aux seules solutions valables. Ce théâtre laisse entendre par exemple que chacun porte en lui une part d'illusions et de malentendu qui est destinée à être tuée. Simplement, ce sacrifice libère peut-être une autre part de l'individu, la meilleure, qui est celle de la révolte et de la liberté. Mais de quelle liberté s'agit-il? Caligula, obsédé d'impossible, tente d'exercer une certaine liberté dont il est dit simplement pour finir «qu'elle n'est pas la bonne». C'est pourquoi l'univers se dépeuple autour de lui et la scène se vide jusqu'à ce qu'il meure lui-même. On ne peut pas être libre contre les autres hommes. Mais comment peut-on être libre? Cela n'est pas encore dit.
«Dans les épaisseurs de la nuit sèche et froide, des milliers d'étoiles se formaient sans trêve et leurs glaçons étincelants, aussitôt détachés, commençaient de glisser insensiblement vers l'horizon. Janine ne pouvait s'arracher à la contemplation de ces feux à la dérive. Elle tournait avec eux, et le même cheminement immobile la réunissait peu à peu à son être le plus profond, où le froid et le désir maintenant se combattaient.» La Femme adultère. Six nouvelles lues avec talent par six acteurs de la Comédie-Française.
Quoi qu'il puisse arriver, Jonas, peintre au talent reconnu, croit en sa bonne étoile - jamais elle ne cessera de l'aider et de le guider. Pourtant la vie, ses proches, ses amis, ses disciples l'acculent peut à peu à la stérilité artistique...
Un ingénieur français, en mission au Brésil, est confronté aux superstitions et au mysticisme des indigènes. Mais l'amitié qu'il éprouve pour l'un d'entre eux aura raison de son scepticisme.
Deux magnifiques nouvelles à la fin mystérieuse et ambiguë.
«Je suis certain qu'on ne peut être heureux sans argent. Voilà tout. Je n'aime ni la facilité ni le romantisme. J'aime à me rendre compte. Eh bien, j'ai remarqué que chez certains êtres d'élite il y a une sorte de snobisme spirituel à croire que l'argent n'est pas nécessaire au bonheur. C'est bête, c'est faux, et dans une certaine mesure, c'est lâche. En 1938, Albert Camus abandonne son premier roman, La Mort heureuse, pour commencer à rédiger L'Étranger. Ce premier projet romanesque, publié à titre posthume, est riche pourtant de descriptions lumineuses de la nature et de réflexions anticonformistes. Le héros, Meursault, recherche désespérément le bonheur, fût-ce au prix d'un crime. Son parcours est nourri de la jeunesse difficile et ardente de Camus ; ses choix et ses pensées annoncent les récits et les essais à venir. Christian Gonon nous livre une interprétation pleine de douceur de cette réflexion sur le bonheur.
Au lendemain de la mort de Camus (1960), les Éditions Gallimard souhaitent inscrire son oeuvre au catalogue de la Pléiade. Deux volumes sont prévus. Roger Quilliot, chargé d'établir l'édition, fait oeuvre de pionnier; il consulte tous les manuscrits alors disponibles et rassemble quantité de «Textes complémentaires». Le premier volume, Théâtre, récits, nouvelles, paraît dès 1962; le second, Essais, en 1965. Mais dans son introduction de 1962 Quilliot songe déjà à l'avenir:«Je me suis seulement efforcé de rendre à Camus, pour les années à venir, l'homme vivant qui lui était dû et que d'autres, sans nul doute, voudront parfaire.» De fait, la connaissance de l'oeuvre de Camus n'a cessé de progresser. Des textes épars ont été rassemblés et édités. Les Carnets, mais aussi des récits restés inédits, comme La Mort heureuse et Le Premier Homme, ont été révélés. Bien des questions soulevées par Camus se posent toujours, mais si leur thématique (la décolonisation, le terrorisme et sa répression, etc.) nous paraît familière, le rappel du contexte historique est de plus en plus indispensable à leur compréhension. D'autre part, les informations apportées par les publications posthumes incitent à s'interroger sur la meilleure organisation possible de l'oeuvre de Camus. L'édition des années 1960 plaçait d'un côté la «fiction», de l'autre la «réflexion», mais comment, par exemple, ne pas tenir compte du fait que l'on trouve dans les Carnets plusieurs plans structurant l'oeuvre en «séries» (l'Absurde, la Révolte, etc.), chacune de ces séries comprenant des ouvrages appartenant à des genres littéraires différents, fictionnels ou réflexifs? Une édition des Oeuvres complètes devait donc être présentée au plus près de ce que nous savons des intentions de l'auteur. C'est la chronologie de publication des oeuvres, tous genres confondus, qui a été retenue comme principe de classement, et ce sont les ouvrages publiés du vivant de Camus qui figurent en premier lieu dans chaque tome. Enfin, des écrits posthumes sont rassemblés à la fin de chaque volume, en fonction de leur date de rédaction.
«... Je ne puis laisser réimprimer ces pages sans dire ce qu'elles sont. Elles ont été écrites et publiées dans la clandestinité. Elles avaient un but qui était d'éclairer un peu le combat aveugle où nous étions et, par là, de rendre plus efficace ce combat. Ce sont des écrits de circonstance et qui peuvent donc avoir un air d'injustice. Si l'on devait en effet écrire sur l'Allemagne vaincue, il faudrait tenir un langage un peu différent. Mais je voudrais seulement prévenir un malentendu. Lorsque l'auteur de ces lettres dit vous, il ne veut pas dire vous autres Allemands, mais vous autres nazis. Quand il dit nous, cela ne signifie pas toujours nous autres Français mais nous autres Européens libres. Ce sont deux attitudes que j'oppose, non deux nations, même si, à un moment de l'histoire, ces deux nations ont pu incarner deux attitudes ennemies. Pour reprendre un mot qui ne m'appartient pas, j'aime trop mon pays pour être nationaliste. Et je sais que la France ne perdra rien, au contraire, à s'ouvrir à une société plus large. Mais nous sommes encore loin du compte et l'Europe est toujours déchirée. C'est pourquoi j'aurais honte aujourd'hui si je laissais croire qu'un écrivain français puisse être l'ennemi d'une seule nation. Je ne déteste que les bourreaux. Tout lecteur qui voudra bien lire les Lettres à un ami allemand dans cette perspective, c'est-à-dire comme un document de la lutte contre la violence, admettra que je puisse dire maintenant que je n'en renie pas un seul mot.» Albert Camus, 1948.
«À ceux qui cherchent un sens à la vie, Camus répond qu'on ne sort pas du ciel qui nous contient. À ceux qui se désolent de l'absurde, Camus raconte que le monde est beau et que cela suffit à remplir le coeur d'un homme. À ceux qui souhaitent la tyrannie parce que l'Homme n'est pas à la hauteur du bien qu'on lui veut, Camus dit qu'il faut aimer les hommes avant les idées. Aux partisans de la haine, il décrit la gratitude. Aux indignés et aux sectateurs d'un «autre monde possible» qui s'endorment, sereins, sur l'oreiller des contestations incontestables, Camus enseigne que la véritable exigence est le contraire de la radicalité. [...] Albert Camus soigne le désespoir par le sentiment qu'il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre; c'est le seul homme normal que je connaisse.» Raphaël Enthoven.
Au lendemain de la mort de Camus (1960), les Éditions Gallimard souhaitent inscrire son oeuvre au catalogue de la Pléiade. Deux volumes sont prévus. Roger Quilliot, chargé d'établir l'édition, fait oeuvre de pionnier; il consulte tous les manuscrits alors disponibles et rassemble quantité de «Textes complémentaires». Le premier volume, Théâtre, récits, nouvelles, paraît dès 1962; le second, Essais, en 1965. Mais dans son introduction de 1962 Quilliot songe déjà à l'avenir:«Je me suis seulement efforcé de rendre à Camus, pour les années à venir, l'homme vivant qui lui était dû et que d'autres, sans nul doute, voudront parfaire.» De fait, la connaissance de l'oeuvre de Camus n'a cessé de progresser. Des textes épars ont été rassemblés et édités. Les Carnets, mais aussi des récits restés inédits, comme La Mort heureuse et Le Premier Homme, ont été révélés. Bien des questions soulevées par Camus se posent toujours, mais si leur thématique (la décolonisation, le terrorisme et sa répression, etc.) nous paraît familière, le rappel du contexte historique est de plus en plus indispensable à leur compréhension. D'autre part, les informations apportées par les publications posthumes incitent à s'interroger sur la meilleure organisation possible de l'oeuvre de Camus. L'édition des années 1960 plaçait d'un côté la «fiction», de l'autre la «réflexion», mais comment, par exemple, ne pas tenir compte du fait que l'on trouve dans les Carnets plusieurs plans structurant l'oeuvre en «séries» (l'Absurde, la Révolte, etc.), chacune de ces séries comprenant des ouvrages appartenant à des genres littéraires différents, fictionnels ou réflexifs? Une édition des Oeuvres complètes devait donc être présentée au plus près de ce que nous savons des intentions de l'auteur. C'est la chronologie de publication des oeuvres, tous genres confondus, qui a été retenue comme principe de classement, et ce sont les ouvrages publiés du vivant de Camus qui figurent en premier lieu dans chaque tome. Enfin, des écrits posthumes sont rassemblés à la fin de chaque volume, en fonction de leur date de rédaction.
Au lendemain de la mort de Camus (1960), les Éditions Gallimard souhaitent inscrire son oeuvre au catalogue de la Pléiade. Deux volumes sont prévus. Roger Quilliot, chargé d'établir l'édition, fait oeuvre de pionnier ; il consulte tous les manuscrits alors disponibles et rassemble quantité de «Textes complémentaires». Le premier volume, Théâtre, récits, nouvelles, paraît dès 1962 ; le second, Essais, en 1965. Mais dans son introduction de 1962 Quilliot songe déjà à l'avenir : «Je me suis seulement efforcé de rendre à Camus, pour les années à venir, l'homme vivant qui lui était dû et que d'autres, sans nul doute, voudront parfaire.» De fait, la connaissance de l'oeuvre de Camus n'a cessé de progresser. Des textes épars ont été rassemblés et édités. Les Carnets, mais aussi des récits restés inédits, comme La Mort heureuse et Le Premier Homme, ont été révélés. Bien des questions soulevées par Camus se posent toujours, mais si leur thématique (la décolonisation, le terrorisme et sa répression, etc.) nous paraît familière, le rappel du contexte historique est de plus en plus indispensable à leur compréhension. D'autre part, les informations apportées par les publications posthumes incitent à s'interroger sur la meilleure organisation possible de l'oeuvre de Camus. L'édition des années 1960 plaçait d'un côté la «fiction», de l'autre la «réflexion», mais comment, par exemple, ne pas tenir compte du fait que l'on trouve dans les Carnets plusieurs plans structurant l'oeuvre en «séries» (l'Absurde, la Révolte, etc.), chacune de ces séries comprenant des ouvrages appartenant à des genres littéraires différents, fictionnels ou réflexifs ?
Une édition des oeuvres complètes devait donc être présentée au plus près de ce que nous savons des intentions de l'auteur. C'est la chronologie de publication des oeuvres, tous genres confondus, qui a été retenue comme principe de classement, et ce sont les ouvrages publiés du vivant de Camus qui figurent en premier lieu dans chaque tome. Enfin, des écrits posthumes sont rassemblés à la fin de chaque volume, en fonction de leur date de rédaction.
Les deux premiers tomes des Camets d'Albert Camus, datés de 1935 à 1951, ont été publiés peu après la disparition de l'écrivain. Mais il restait neuf années de carnets inédits. Ce sont eux qui constituent le texte de ce tome III. Comme dans les carnets précédents, on assiste à la genèse des oeuvres:L'été, La chute, L'exil et le royaume. On voit aussi les réactions de l'auteur de L'homme révolté au moment des polémiques déclenchées par son livre. On y trouve beaucoup de notes pour des projets qui finalement n'ont pas abouti, une pièce sur Julie de Lespinasse, par exemple, ou une autre qui mêle les thèmes de Faust et de don Juan, et, bien sûr, Le premier homme qu'il avait commencé d'écrire. Les événements qui ont marqué la vie de Camus sont davantage présents dans ces derniers Camets que dans les premiers:des voyages en Grèce, la tragédie de la guerre d'Algérie, le prix Nobel. Plus on avance et plus les Camets, au début simples instruments de travail, se rapprochent du journal intime. On trouvera à la fin du volume un index général des trois tomes.
Albert Camus a travaillé avec René Char sur ce projet de livre sur le Vaucluse, paru après la mort de Camus. C'est le point de rencontre de la pensée des deux auteurs, cette idée que, le soleil disparu, la lumière est encore possible et l'espoir, malgré la vie éteinte. La photographie est la postérité du soleil, la fixation précaire mais salutaire d'un éblouissement.
«En somme, je vais parler de ceux que j'aimais», écrit Albert Camus dans une note pour Le premier homme. Le projet de ce roman auquel il travaillait au moment de sa mort était ambitieux. Il avait dit un jour que les écrivains «gardent l'espoir de retrouver les secrets d'un art universel qui, à force d'humilité et de maîtrise, ressusciterait enfin les personnages dans leur chair et dans leur durée».Il avait jeté les bases de ce qui serait le récit de l'enfance de son «premier homme». Cette rédaction initiale a un caractère autobiographique qui aurait sûrement disparu dans la version définitive du roman. Mais c'est justement ce côté autobiographique qui est précieux aujourd'hui.Après avoir lu ces pages, on voit apparaître les racines de ce qui fera la personnalité de Camus, sa sensibilité, la genèse de sa pensée, les raisons de son engagement. Pourquoi, toute sa vie, il aura voulu parler au nom de ceux à qui la parole est refusée.
Ce recueil se compose de quatre essais écrits en 1936 et 1937, publiés en 1950. Noces à Tipasa évoque un «jour de noces avec le monde». Sur la plage de Tipasa, dans les odeurs sauvages de l'été d'Algérie, un jeune homme, fils d'une «race née du soleil et de la mer», chante sa joie de vivre dans la beauté et son orgueil de pouvoir aimer sans mesure. Le vent à Djemila. Au crépuscule, dans le décor tragique d'une ville morte traversée par le vent, l'auteur exprime sa «certitude consciente d'une mort sans espoir». Mais l'horreur même de cette mort ne l'en distraira pas. Jusqu'au bout, il sera lucide. L'été à Alger. Description psychologique d'une ville sans passé qui ignore le sens du mot vertu, mais qui a sa morale et où les hommes trouvent «pendant toute leur jeunesse une vie à la mesure de leur beauté». Le désert. Partant de la leçon des grands peintres toscans, l'auteur s'approche de cette «double vérité du corps et de l'instant... qui doit nous enchanter mais périr à la fois». Il découvre que l'accord qui unit un être à sa vie, dans un monde dont la beauté doit périr, est la «double conscience de son désir de durée et son destin de mort». Notre salut est sur la terre où le bonheur peut naître de l'absence d'espoir.
«Je suis certain qu'on ne peut être heureux sans argent. Voilà tout. Je n'aime ni la facilité ni le romantisme. J'aime à me rendre compte. Eh bien, j'ai remarqué que chez certains êtres d'élite il y a une sorte de snobisme spirituel à croire que l'argent n'est pas nécessaire au bonheur. C'est bête, c'est faux, et dans une certaine mesure, c'est lâche.» En 1938, Albert Camus abandonne son premier roman, La mort heureuse, pour commencer à rédiger L'étranger. Ce premier projet romanesque, publié à titre posthume, est riche pourtant de descriptions lumineuses de la nature et de réflexions anticonformistes. Le héros, Meursault, recherche désespérément le bonheur, fût-ce au prix d'un crime. Son parcours est nourri de la jeunesse difficile et ardente de Camus ; ses choix et ses pensées annoncent les récits et les essais à venir.
Arsenal de citations et de thèmes, réserve d'ébauches et d'images, laboratoire littéraire, tel apparaissait le premier volume des Carnets de Camus. L'histoire envahit le second : épuration, guerre froide, procès politiques, toutes les convulsions d'un monde tourmenté y figurent en filigrane. Quelle conduite adopter dans un univers absurde ? Révolte ou révolution ? Engagement littéraire, témoignage ou divertissement ? Dix ans de notre histoire retrouvée en miettes au travers d'une conscience moins sûre de ses raisons qu'on ne l'a souvent dit. On cherchait tout uniment un maître à penser ; on découvre un homme dans sa fragilité.
«Ces Carnets dont la première série va de mai 1935 à février 1942 ne satisferont pas entièrement la curiosité toute naturelle de ceux qui sont avides de détails biographiques ou de références à des sources. Et pourtant ils contiennent des renseignements précieux sur la vie et sur l'oeuvre, sur le mouvement d'une pensée qui jamais ne s'arrête. Ils permettront surtout de mieux découvrir le secret du génie qui habitait Albert Camus : cette exigence infinie qui lui faisait dire non à ce qui était offert à l'homme, alors qu'il aurait tant voulu dire oui. Et à propos de la vie quolidienne et des êtres les plus simples ces Carnets révèlent ce déchirement intime. Exigence de bonheur ? Certes. Beaucoup plus encore exigence de lucidité : être conscient, tenir les yeux ouverts, et cela jusqu'au bout.» Jean Grenier.
«Ce volume [tome I] résume l'expérience d'un écrivain mêlé pendant quatre ans à la vie publique de son pays. [...]Je crois avoir fait ainsi la part de mes injustices. On verra seulement que j'ai laissé parler en même temps une conviction qui, elle du moins, n'a pas varié. Et, pour finir, j'ai fait aussi la part de la fidélité et de l'espoir. C'est en ne refusant rien de ce qui a été pensé et vécu à cette époque, c'est en faisant l'aveu du doute et de la certitude, en consignant l'erreur qui, en politique, suit la conviction comme son ombre, que ce livre restera fidèle à une expérience qui fut celle de beaucoup de Français et d'Européens.»
«Ce volume [tome I] résume l'expérience d'un écrivain mêlé pendant quatre ans à la vie publique de son pays. [...]Je crois avoir fait ainsi la part de mes injustices. On verra seulement que j'ai laissé parler en même temps une conviction qui, elle du moins, n'a pas varié. Et, pour finir, j'ai fait aussi la part de la fidélité et de l'espoir. C'est en ne refusant rien de ce qui a été pensé et vécu à cette époque, c'est en faisant l'aveu du doute et de la certitude, en consignant l'erreur qui, en politique, suit la conviction comme son ombre, que ce livre restera fidèle à une expérience qui fut celle de beaucoup de Français et d'Européens.»
L'aventure et la bataille perdue d'Alger républicain sont un des épisodes déterminants de la formation d'Albert Camus. Fin 1938, il entre comme journaliste débutant dans ce quotidien créé pour être à Alger l'organe du Front populaire. Aux côtés de Pascal Pia, il y jouera bientôt un rôle déterminant, jusqu'au jour de janvier 1940 où Alger républicain, devenu Le Soir républicain, est définitivement suspendu par ordre du Gouvernement général. Pendant un peu plus de deux ans, Camus aura lutté pour la survie de ce journal chaque jour menacé, pour l'émancipation politique et sociale, pour la justice, pour l'Espagne républicaine aussi, et enfin pour la «vraie» paix. À travers cette activité multiple se forme une éthique du journalisme qui sera plus tard celle du quotidien Combat. Jacqueline Lévi-Valensi et André Abbou ont retrouvé, dans les collections d'Alger républicain et du Soir républicain l'ensemble des articles signés par Camus ou pouvant lui être attribués. Classés par thèmes, éclairés par des notes et des aperçus historiques, ce sont vraiment les «fragments d'un combat».
Albert Camus revient au journalisme en mai 1955. Sa collaboration à L'Express dure jusqu'en février 1956. Ce cahier présente les trente-cinq éditoriaux qu'il rédigea alors. Ils offrent un triple intérêt : politique, littéraire et humain. Camus traite principalement de la tragédie algérienne. Mais il parle aussi, au fil de l'actualité, du métier d'homme, de la guerre des gauches, des rapports entre les intellectuels et la politique, de la situation de l'artiste dans la société, de la liberté, du nucléaire, de la fin des idéologies, du fonctionnement du régime parlementaire, de la non-violence. Il dénonce l'admission de l'Espagne franquiste aux Nations Unies, critique le développement du racisme français, réclame la transformation de la condition ouvrière, exprime sa tendresse pour le peuple grec, défend l'exercice des libertés individuelles et salue le génie exemplaire de Mozart.