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Annie Ernaux
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«J'écris peut-être parce qu'on n'avait plus rien à se dire.» Le père d'Annie Ernaux est mort l'année où elle a été reçue au CAPES de lettres modernes. Ancien garçon de ferme, puis ouvrier, il tenait un café-épicerie à l'écart du centre dans une petite ville de Normandie. Plusieurs années après, habitée par un sentiment de trahison, elle entreprend le récit de cette vie «soumise à la nécessité». En même temps, elle décrit ce monde dans lequel elle a grandi, un monde «où tout coûte cher», où l'on ne discute pas de livres ni de films, mettant au jour, sans misérabilisme, son héritage culturel auquel elle avait peu à peu tourné le dos.
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Ce sont celles qui se sont écoulées de la fin de la deuxième guerre mondiale à aujourd'hui, revisitées par la mémoire d'une femme. Le livre saisit la trace des événements mais davantage encore le changement ininterrompu des choses et des représentations, idées, croyances, lieux communs en circulation dans la société. Dans ce mouvement collectif et anonyme, douze « arrêts sur photo » aux différents âges de la vie introduisent la dimension individuelle de cette femme, les modifications de son corps et de ses désirs, de sa perception du passé et de l'avenir.
Ni fiction ni autofiction, Les années constituent une autobiographie impersonnelle, une forme nouvelle de récit entre histoire et mémoire. Plus que tout, l'écriture tente de faire ressentir le passage du temps.
Annie Ernaux
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«Depuis des années, je tourne autour de cet événement de ma vie. Lire dans un roman le récit d'un avortement me plonge dans un saisissement sans images ni pensées, comme si les mots se changeaient instantanément en sensation violente. De la même façon entendre par hasard La javanaise, J'ai la mémoire qui flanche, n'importe quelle chanson qui m'a accompagnée durant cette période, me bouleverse.» Annie Ernaux.
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Yvetot, un dimanche d'août 1950. Annie a dix ans, elle joue dehors, au soleil, sur le chemin caillouteux de la rue de l'École. Sa mère sort de l'épicerie pour discuter avec une cliente, à quelques mètres d'elle. La conversation des deux femmes est parfaitement audible et les bribes d'une confidence inouïe se gravent à jamais dans la mémoire d'Annie. Avant sa naissance, ses parents avaient eu une autre fille. Elle est morte à l'âge de six ans de la diphtérie. Plus jamais Annie n'entendra un mot de la bouche de ses parents sur cette soeur inconnue. Elle ne leur posera jamais non plus une seule question.
Mais même le silence contribue à forger un récit qui donne des contours à cette petite fille morte. Car forcément, elle joue un rôle dans l'identité de l'auteur. Les quelques mots, terribles, prononcés par la mère ; des photographies, une tombe, des objets, des murmures, un livret de famille : ainsi se construit, dans le réel et dans l'imaginaire, la fiction de cette " aînée " pour celle à qui l'on ne dit rien. Reste à savoir si la seconde fille, Annie, est autorisée à devenir ce qu'elle devient par la mort de la première. Le premier trio familial n'a disparu que pour se reformer à l'identique, l'histoire et les enfances se répètent de manière saisissante, mais une distance infranchissable sépare ces deux filles. C'est en évaluant très exactement cette distance que l'auteur trouve le sens du mystère qui lui a été confié un dimanche de ses dix ans.
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« J'ai voulu l'oublier cette fille. L'oublier vraiment, c'est-à-dire ne plus avoir envie d'écrire sur elle. Ne plus penser que je dois écrire sur elle, son désir, sa folie, son idiotie et son orgueil, sa faim et son sang tari. Je n'y suis jamais parvenue. » Dans Mémoire de fille, Annie Ernaux replonge dans l'été 1958, celui de sa première nuit avec un homme, à la colonie de S dans l'Orne. Nuit dont l'onde de choc s'est propagée violemment dans son corps et sur son existence durant deux années.
S'appuyant sur des images indélébiles de sa mémoire, des photos et des lettres écrites à ses amies, elle interroge cette fille qu'elle a été dans un va-et-vient implacable entre hier et aujourd'hui.
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Elle a trente ans, elle est professeur, mariée à un «cadre», mère de deux enfants. Elle habite un appartement agréable. Pourtant, c'est une femme gelée. C'est-à-dire que, comme des milliers d'autres femmes, elle a senti l'élan, la curiosité, toute une force heureuse présente en elle se figer au fil des jours entre les courses, le dîner à préparer, le bain des enfants, son travail d'enseignante. Tout ce que l'on dit être la condition «normale» d'une femme.
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«À partir du mois de septembre l'année dernière, je n'ai plus rien fait d'autre qu'attendre un homme : qu'il me téléphone et qu'il vienne chez moi.» Annie Ernaux.
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Le lundi 7 avril 1986, la mère d'Annie Ernaux s'éteint dans une maison de retraite. En trois ans, une maladie cérébrale, qui détruit la mémoire, l'avait menée à la déchéance physique et intellectuelle. Frappée de stupeur par cette mort que, malgré l'état de sa mère, elle s'était refusé à imaginer, Annie Ernaux s'efforce de retrouver les différents visages et la vie de celle qui était l'image même de la force active et de l'ouverture au monde. Quête du sens de l'existence d'une femme, d'abord ouvrière, puis commerçante anxieuse de «tenir son rang», passionnée de lecture et pour qui s'élever «c'était d'abord apprendre». Mise au jour, aussi, de l'évolution et de l'ambivalence des sentiments d'une fille envers sa mère : amour et haine, culpabilité, tendresse et agacement, attachement viscéral et muet pour la vieille femme diminuée. Dans La place, l'autrice évoquait son père. Les deux récits se recoupent, se complètent, mais l'éclairage change, ici plus charnel et contrasté. L'écriture, précise et concrète, ressuscite d'une manière bouleversante cette mère qui était, pour sa fille, l'incarnation du Temps et de la condition sociale d'origine : «J'ai perdu le dernier lien avec le monde dont je suis issue.»
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«J'ai toujours eu envie d'écrire des livres dont il me soit ensuite impossible de parler, qui rendent le regard d'autrui insoutenable. Mais quelle honte pourrait m'apporter l'écriture d'un livre qui soit à la hauteur de ce que j'ai éprouvé dans ma douzième année.»Annie Ernaux.
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«Ça suffit d'être une vicieuse, une cachottière, une fille poisseuse et lourde vis-à-vis des copines de classe, légères, libres, pures de leur existence... Fallait encore que je me mette à mépriser mes parents. Tous les péchés, tous les vices. Personne ne pense mal de son père ou de sa mère. Il n'y a que moi.»Un roman âpre, pulpeux, celui d'une déchirure sociale, par l'autrice de La place.
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Pour Annie Ernaux, l'hypermarché est un grand rendez-vous humain, un véritable spectacle. Sa fréquentation est très loin de se résumer à la seule corvée des courses. Dans le journal de ses visites au magasin Auchan des Trois-Fontaines, la romancière livre les sentiments mêlés, attirance mais aussi interrogations, que suscite en elle ce haut lieu de l'abondance. Grâce à ce relevé libre de ses sensations et de ses observations, l'hypermarché, espace familier où tout le monde ou presque se côtoie, arrive enfin à la dignité de sujet littéraire.
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En quelques pages, à la première personne, Annie Ernaux raconte une relation vécue avec un homme de trente ans de moins qu'elle. Une expérience qui la fit redevenir, l'espace de plusieurs mois, la «fille scandaleuse» de sa jeunesse. Un voyage dans le temps qui lui permit de franchir une étape décisive dans son écriture.Ce texte est une clé pour lire l'oeuvre d'Annie Ernaux - son rapport au temps et à l'écriture.
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«J'avais quitté W. Quelques mois après, il m'a annoncé qu'il allait vivre avec une femme, dont il a refusé de me dire le nom. À partir de ce moment, je suis tombée dans la jalousie. L'image et l'existence de l'autre femme n'ont cessé de m'obséder, comme si elle était entrée en moi. C'est cette occupation que je décris.» Annie Ernaux.
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«[...] Je n'ai jamais rien su de ses activités qui, officiellement, étaient d'ordre culturel. Je m'étonne aujourd'hui de ne pas lui avoir posé plus de questions. Je ne saurai jamais non plus ce que j'ai été pour lui. Son désir de moi est la seule chose dont je sois assurée. C'était, dans tous les sens du terme, l'amant de l'ombre. [...] J'ai conscience de publier ce journal en raison d'une sorte de prescription intérieure, sans souci de ce que lui, S., éprouvera. À bon droit, il pourra estimer qu'il s'agit d'un abus de pouvoir littéraire, voire d'une trahison. Je conçois qu'il se défende par le rire ou le mépris, "je ne la voyais que pour tirer mon coup". Je préférerais qu'il accepte, même s'il ne le comprend pas, d'avoir été durant des mois, à son insu, ce principe, merveilleux et terrifiant, de désir, de mort et d'écriture.» Annie Ernaux.
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«De 1985 à 1992, j'ai transcrit des scènes, des paroles, saisies dans le R.E.R., les hypermarchés, le centre commercial de la Ville Nouvelle, où je vis. Il me semble que je voulais ainsi retenir quelque chose de l'époque et des gens qu'on croise juste une fois, dont l'existence nous traverse en déclenchant du trouble, de la colère ou de la douleur.» Annie Ernaux.
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À l'ombre de ses romans et récits, Annie Ernaux, comme jadis Virginia Woolf, écrit au fil des jours ses pensées, ses réflexions sur la vie, ses recherches en écriture. C'est là dans ce laboratoire secret de mots, dans l'intimité d'un long dialogue avec elle-même que s'enracine son oeuvre exigeante.
Annie Ernaux nous livre quelques fragments de ce journal dont elle destine l'intégralité à la postérité. C'est dire si ces pages entrouvertes aux lecteurs d'aujourd'hui sont un cadeau de confiance et d'amitié. Une manière de partage.
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Coco perdu : Essai de voix
Louis Guilloux, Annie Ernaux
- Gallimard
- Blanche
- 17 Février 1978
- 9782070298808
Il ne sait pas encore, ce déjà vieil homme qui soliloque dans les rues d'une ville de province, ce «retraité» dont toute la vie sans doute s'est passée à battre en retraite, le plus dignement possible - il ne sait pas encore, «Coco perdu», que s'il se parle à lui-même c'est qu'il n'a déjà plus personne à qui parler. Et que personne ne lui répondra désormais. Il a accompagné sa femme au train de Paris. Une brève absence? Un court voyage? Non, bien davantage:après deux jours d'angoisse inavouée, le narrateur s'aperçoit que «Fafa» est partie pour toujours. Il découvre sa solitude finale, sans doute irrémédiable.Tout est parole, et rien n'est dit, dans ce récit où le lamento prend subtilement les apparences du bavardage «de fil en aiguille», où les bâtons rompus cachent un coeur brisé. La détresse, le courage quotidien, l'humour familier et le désespoir silencieux, tapi derrière les paroles qui se donnent l'air, par politesse, d'être paroles en l'air:Coco perdu témoigne une fois de plus du très grand art pudique de l'auteur du Sang noir.
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«Ça ne vaut plus le coup d'avoir mes règles. Ma tante a dit : t'as perdu ta langue, Anne ? t'étais plus causante avant. C'est plutôt la leur de langue que j'ai perdue. Tout est désordre en moi, ça ne colle pas avec ce qu'ils disent.» Histoire d'une adolescente comme les autres, qui cherche à communiquer, à comprendre. Mais rien, dans le langage de ses parents, de l'étudiant qu'elle a recontré, dans les mots des livres même, ne coïncide avec la réalité de ce qu'elle vit et elle se trouve renvoyée à la solitude.
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«Écrire n'est pas pour moi un substitut de l'amour, mais quelque chose de plus que l'amour ou que la vie.»
15 janvier 1963
«Cette sensation terrible, toujours, d'être à la recherche de l'écriture inconnue, comme cela m'arrive de désirer une nourriture inconnue. Et je vois le temps passer, nécessité d'écrire contre le temps, la vieillesse.»
3 août 1990
«Écrire la vie. Non pas ma vie, ni sa vie, ni même une vie. La vie, avec ses contenus qui sont les mêmes pour tous mais que l'on éprouve de façon individuelle:le corps, l'éducation, l'appartenance et la condition sexuelles, la trajectoire sociale, l'existence des autres, la maladie, le deuil. Je n'ai pas cherché à m'écrire, à faire oeuvre de ma vie:je me suis servie d'elle, des événements, généralement ordinaires, qui l'ont traversée, des situations et des sentiments qu'il m'a été donné de connaître, comme d'une matière à explorer pour saisir et mettre au jour quelque chose de l'ordre d'une vérité sensible.»
juillet 2011 -
Ma mère a été atteinte de la maladie d'alzheimer au début des années 80 et placée dans une maison de retraite.
Quand je revenais de mes visites, il fallait que j'écrive sur elle, son corps, ses paroles, le lieu où elle se trouvait. je ne savais pas que ce journal me conduirait vers sa mort, en 86.
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«Relisant ces pages, je m'aperçois que j'ai déjà oublié beaucoup de scènes et de faits. Il me semble même que ce n'est pas moi qui les ai transcrits. Ce sont comme des traces de temps et d'histoire, des fragments du texte que nous écrivons tous rien qu'en vivant. Pourtant, je sais aussi que dans les notations de cette vie extérieure, plus que dans un journal intime, se dessinent ma propre histoire et les figures de ma ressemblance.» Annie Ernaux.
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«Souvent, depuis le début de notre relation, j'étais restée fascinée en découvrant au réveil la table non desservie du dîner, les chaises déplacées, nos vêtements emmêlés, jetés par terre n'importe où la veille au soir en faisant l'amour. C'était un paysage à chaque fois différent. Je me demande pourquoi l'idée de le photographier ne m'est pas venue plus tôt. Ni pourquoi je n'ai jamais proposé cela à aucun homme. Peut-être considérais-je qu'il y avait là quelque chose de vaguement honteux, ou d'indigne. En un sens, il était moins obscène pour moi de photographier le sexe de M. Peut-être aussi ne pouvais-je le faire qu'avec cet homme-là et qu'à cette période de ma vie.» Annie Ernaux.
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Dans ce dialogue intellectuel et intime, la romancière Annie Ernaux et la sociologue Rose-Marie Lagrave, issues de la même génération, se livrent à une réflexion sur leurs trajectoires sociales : elles évoquent autant leurs points communs - familles modestes, normandes, bercées par le catholicisme -, que la manière différente dont elles se conçoivent en tant que transfuges de classe. Elles partagent ici leurs parcours, leurs lectures (de Pierre Bourdieu à Virginia Woolf), leurs rapports au travail, à la reconnaissance et à la vieillesse, et donnent à penser l'amitié féministe et l'écriture comme voies vers l'émancipation.
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Les cahiers de l'Herne : Ernaux
Annie Ernaux
- L'Herne
- Les Cahiers De L'herne
- 4 Mai 2022
- 9791031903538
Annie Ernaux est aujourd'hui, de façon incontestable, l'un des auteurs français les plus (re)connus dans le paysage littéraire contemporain, son oeuvre est traduite dans de nombreux pays et couronnée par de multiples prix (récemment encore le Prix Prince Pierre de Monaco). Ce volume qui lui est consacré permettra tout à la fois de satisfaire les lecteurs les plus érudits mais également de répondre à la curiosité littéraire d'un public de plus en plus large et fidèle. Mêlant regards critiques et interventions plus personnelles d'écrivains ou d'artistes, le Cahier explore autant les enjeux sociologiques, historiques et parfois psychanalytiques de l'oeuvre d'Annie Ernaux que sa sensibilité intime. La multitude des intervenants, issus de milieux aussi divers que le cinéma, le théâtre, la littérature, la chanson et la recherche littéraire, vise à mettre en valeur les nombreuses facettes du travail d'Annie Ernaux. Certaines parties mettent l'accent sur des ouvrages précis, L'Événement, Les Années et Mémoire de fille, quand d'autres abordent les thématiques qui traversent toute l'oeuvre ; écriture, voyages, engagement politique,... De nombreux extraits inédits du journal d'écriture d'Annie Ernaux témoignent par ailleurs du regard sans cesse éveillé que l'écrivaine pose sur le monde.