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«Donc j'étais tout à l'heure au Jardin public. La racine du marronnier s'enfonçait dans la terre, juste au-dessous de mon banc. Je ne me rappelais plus que c'était une racine. Les mots s'étaient évanouis et, avec eux, la signification des choses, leurs modes d'emploi, les faibles repères que les hommes ont tracés à leur surface. J'étais assis, un peu voûté, la tête basse, seul en face de cette masse noire et noueuse entièrement brute et qui me faisait peur. Et puis j'ai eu cette illumination. Ça m'a coupé le souffle. Jamais, avant ces derniers jours, je n'avais pressenti ce que voulait dire exister».
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«Comme tu tiens à ta pureté, mon petit gars ! Comme tu as peur de te salir les mains. Eh bien, reste pur ! À quoi cela servirait-il et pourquoi viens-tu parmi nous ? La pureté, c'est une idée de fakir et de moine. Vous autres, les intellectuels, les anarchistes bourgeois, vous en tirez prétexte pour ne rien faire. Ne rien faire, rester immobile, serrer les coudes contre le corps, porter des gants. Moi j'ai les mains sales. Jusqu'aux coudes. Je les ai plongées dans la merde et dans le sang.»
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«- Comment s'appellent-ils, ces trois-là ? - Steinbock, Ibbieta et Mirbal, dit le gardien. Le commandant mit ses lorgnons et regarda sa liste : - Steinbock... Steinbock... Voilà. Vous êtes condamné à mort. Vous serez fusillé demain matin. Il regarda encore : - Les deux autres aussi, dit-il. - C'est pas possible, dit Juan. Pas moi. Le commandant le regarda d'un air étonné...»
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Nouvelle extraite du recueil Le mur
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«Si un homme attribue tout ou partie des malheurs du pays et de ses propres malheurs à la présence d'éléments juifs dans la communauté, s'il propose de remédier à cet état de choses en privant les juifs de certains de leurs droits ou en les écartant de certaines fonctions économiques et sociales ou en les expulsant du territoire ou en les exterminant tous, on dit qu'il a des opinions antisémites. Ce mot d'opinion fait rêver...» Jean-Paul Sartre.
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«Ivich regardait à ses pieds d'un air fermé.- Il doit m'arriver quelque chose.- Je sais, dit Mathieu, votre ligne de vie est brisée. Mais vous m'avez dit que vous n'y croyiez pas vraiment.- Non, je n'y crois pas vraiment... Et puis il y a aussi que je ne peux pas imaginer mon avenir. Il est barré.Elle se tut et Mathieu la regarda en silence. Sans avenir... Tout à coup il eut un mauvais goût dans la bouche et il sut qu'il tenait à Ivich de toutes ses forces. C'était vrai qu'elle n'avait pas d'avenir : Ivich à trente ans, Ivich à quarante ans, ça n'avait pas de sens. Il pensa : Elle n'est pas viable.»Le grand cycle des Chemins de la liberté comprend : L'âge de raison, Le sursis, La mort dans l'âme.
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- Il m'a empoisonnée ?
- Eh oui, madame.
- Mais pourquoi ? pourquoi ?
- Vous le gêniez, répond la vieille dame. Il a eu votre dot. Maintenant il lui faut celle de votre soeur.
Ève joint les mains dans un geste d'impuissance et murmure, accablée :
- Et Lucette est amoureuse de lui !
La vieille dame prend alors une mine de circonstance :
- Toutes mes condoléances... Mais voulez-vous me donner une signature ?
Machinalement, Ève se lève, se penche sur le registre et signe.
- Parfait, conclut la vieille dame. Vous voilà morte officiellement.
Ève hésite, puis s'informe :
- Mais où faut-il que j'aille ?
- Où vous voudrez. Les morts sont libres.
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«Le scénario de L'engrenage a été écrit en 1946. Ce qui m'amusait, au départ, c'était de transposer à l'écran une technique que les romanciers anglo-saxons utilisaient couramment avant la guerre : la pluralité des points de vue. L'idée était dans l'air... Dans le film que j'imaginais, non seulement la chronologie était bouleversée, mais le même personnage, Hélène, apparaissait sous des dehors tout à fait différents selon le point de vue de qui parlait de lui...J'ai pensé à... un petit pays riche en pétrole, par exemple, qui vivrait totalement dans la dépendance de l'étranger. J'ai imaginé le cas d'un homme qui arriverait au pouvoir avec des intentions révolutionnaires... En choisissant un personnage parfaitement honnête et sincère, qui croit vraiment au socialisme, j'ai voulu montrer que ce n'est pas là une question d'homme ou de caractère : c'est le pouvoir lui-même qui est corrompu, dans un pays où l'étranger règne par personne interposée, et ceux qui le détiennent se font, comme Jean, criminels malgré eux.»J.-P. Sartre (novembre 1968).
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Mallarmé : la lucidité et sa face d'ombre
Jean-Paul Sartre
- Gallimard
- Arcades
- 2 Mai 1986
- 9782070706860
«Dès qu'un but est assigné à l'espèce humaine et que ce but est fini, dès qu'on l'envisage comme réalité, tout sombre dans le sinistre, l'espèce humaine devient fourmi. Le donné se referme sur elle.» Cette réflexion de Sartre révèle aussi bien son auteur que Mallarmé lui-même : Sartre a laissé inachevée une partie de ses écrits, et cet essai sur le poète, entrepris en 1952, est du nombre ; quant à Mallarmé, il est mort comme il avait à peine commencé le «Grand Oeuvre» pour lequel il se savait élu, but suprême dont le sens était de n'être jamais atteint.