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«Quand venait l'heure de nous coucher et de nous mettre en pyjama, notre père restait près de nous et nous apprenait à disposer nos vêtements dans l'ordre très exact du rhabillage. Il nous avertissait, nous savions que la cloche de la porte extérieure nous réveillerait en plein sommeil et que nous aurions à fuir, comme si la Gestapo surgissait. "Votre temps sera chronométré", disait-il, nous ne prîmes pas très longtemps la chose pour un jeu. C'était une cloche au timbre puissant et clair, actionnée par une chaîne. Et soudain, cet inoubliable carillon impérieux de l'aube, les allers-retours du battant de la cloche sur ses parois marquant sans équivoque qu'on ne sonnait pas dans l'attente polie d'une ouverture, mais pour annoncer une brutale effraction. Sursaut du réveil, l'un de nous secouait notre petite soeur lourdement endormie, nous nous vêtions dans le noir, à grande vitesse, avec des gestes de plus en plus mécanisés au fil des progrès de l'entraînement, dévalions les deux étages, sans un bruit et dans l'obscurité totale, ouvrions comme par magie la porte de la cour et foncions vers la lisière du jardin, écartions les branchages, les remettions en place après nous être glissés l'un derrière l'autre dans la protectrice anfractuosité, et attendions souffle perdu, hors d'haleine. Nous l'attendions, nous le guettions, il était lent ou rapide, cela dépendait, il faisait semblant de nous chercher et nous trouvait sans jamais faillir. À travers les branchages, nous apercevions ses bottes de SS et nous entendions sa voix angoissée de père juif : "Vous avez bougé, vous avez fait du bruit. - Non, Papa, c'est une branche qui a craqué. - Vous avez parlé, je vous ai entendus, ils vous auraient découverts." Cela continuait jusqu'à ce qu'il nous dise de sortir. Il ne jouait pas. Il jouait les SS et leurs chiens.» Écrits dans une prose magnifique et puissante, les Mémoires de l'auteur de la Shoah disent toute la liberté et l'horreur du XXe siècle, faisant du Lièvre de Patagonie un livre unique qui allie la pensée, la passion, la joie, la jeunesse, l'humour, le tragique.
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Les couleurs existent-elles dans les choses ou n'ont-elles deréalité que dans notre regard ? Sont-elles matière ou idée ? Entretiennent-elles les unes avec les autres des rapports nécessaires ou sont-elles seulement connues de manière empirique ? Y a-t-il une logique de notre monde chromatique ? Pour répondre à ces questions, Claude Romano convoque l'optique, la physique, les neurosciences, la philosophie et la peinture.
En retraversant certaines étapes décisives de la réflexion sur ces problèmes (de Descartes à Newton, de Goethe à Wittgenstein, de Schopenhauer à Merleau-Ponty), il développe une conception réaliste qui replace le phénomène de la couleur dans le monde de la vie et le conçoit comme mettant en jeu notre rapport à l'être en totalité : perceptif, émotionnel et esthétique. L'auteur fait ainsi dialoguer la réflexion théorique et la pratique artistique. C'est parce que la couleur touche à l'être même des choses, en révèle l'épaisseur sensible, que la peinture, qui fait d'elle son élément, est une opération de dévoilement.
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Un savant, un mélomane, un musicien ont-ils la même conception de la musique ? Pourquoi certains distinguent-ils des fréquences que nous ne distinguons pas ? La manière dont le cerveau humain écoute ou crée la musique s'explique par des phénomènes acquis en fonction de telle ou telle civilisation ; mais aussi par une organisation sensorielle et nerveuse innée, spécifique à la pratique musicale. Ainsi, la prédilection universelle pour l'octave ou la quinte correspond à des processus physiologiques objectifs contenant les valeurs numériques particulières de ces intervalles de fréquence privilégiés. D'autres aptitudes musicales se retrouvent chez le nourrisson, en dehors de tout apprentissage préalable : il semble bien exister, dans le cerveau du nouveau-né, des réseaux neuronaux préprogrammés dévolus à l'écoute de la musique. Les scientifiques estiment aujourd'hui que l'écoute et l'expression musicales sont une fonction propre à l'homme, au même titre que la parole : elle lui est tout autant indispensable, même si son organisation cérébrale s'en différencie nettement. Ainsi s'éclaire la part prépondérante que la musique prend dans le quotidien de notre civilisation : loin d'être un phénomène culturel que faciliterait le développement technologique, la musique est l'expression d'un besoin physiologique dont l'humanité commence aujourd'hui seulement à prendre conscience.
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Permis de séjour se terminait «bien». La fleur du temps reprend le fil des jours de Claude Roy là où le précédent journal l'avait suspendu. Quel usage l'écrivain a-t-il fait de sa prolongation de visa ? Il a continué à porter sur la vie un regard qui rend artificielle la distinction entre journal intime et choses vues, entre «vie intérieure» et «vues sur l'extérieur». Qu'il raconte un merveilleux voyage au Japon ou un nouveau et banal séjour à l'hôpital, qu'il analyse avec finesse les plaisirs de la nature, son travail de poète ou les expériences de la douleur, qu'il relate une promenade en forêt d'Île-de-France ou une flânerie sur le Bosphore, c'est toujours cet alliage rare d'une perspicacité compatissante et d'un humour bleu de nuit.
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Descriptions critiques, III : L'Amour de la peinture
Claude Roy
- Folio
- 24 Novembre 1987
- 9782070324354
L'amour de la peinture, c'est la commune passion de trois hommes très différents : Rembrandt, ou la méditation des images, Goya, ou la fureur de voir, Picasso, tout le jeu des formes et toutes les formes du jeu. «Donner à voir, c'est donner à vivre», disait Paul Éluard. On pourrait placer ces mots en épigraphe du livre de Claude Roy, où les génies du passé ne sont pas moins vivants que Picasso, accompagné jour après jour par l'écrivain et son journal dans son travail à Vallauris. La bonne critique d'art, la critique vraiment pénétrante, c'est celle qui pénètre, en effet, les tableaux. Claude Roy va plus loin encore : c'est dans l'oeil et l'esprit du peintre en train de peindre qu'il nous introduit, au coeur même de la passion des formes et des couleurs.