Verdier
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Les années 2017-2022 se résument à deux événements : les Gilets jaunes et la pandémie. Aucun rapport entre eux, mais à chaque fois, deux mêmes questions furent soulevées : celle des pouvoirs et celle des droits.
La démocratie et la république héritées reposent sur une exacte coïncidence : pas de pouvoir sans droit, pas de droit qui ne s'accomplisse en pouvoir. À l'opposé, les Gilets jaunes et les anti-passe revendiquent des pouvoirs sans droit, c'est-à-dire une souveraineté.
Jusque-là, on n'en reconnaissait qu'une : la souveraineté du peuple. Les Gilets jaunes et les anti-passe souhaitent la remplacer par la souveraineté des réseaux sociaux. Ce faisant, ils se sont mis au service de ceux qui détestent le peuple. De ce dernier, les ronds-points, défilés et pancartes ne disent plus rien, sinon la destitution.
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Court traité Tome 1 ; la politique des choses
Jean-Claude Milner
- Verdier
- 3 Février 2011
- 9782864326380
Depuis le XIXe siècle au moins, on en tombe d'accord : le gouvernement des êtres parlants est décidément une affaire trop sérieuse pour qu'on la confie aux êtres parlants.
Mieux vaudrait le confier aux choses. Elles se gouvernent toutes seules ; pourquoi ne gouverneraient-elles pas les hommes ? Le politique le plus sage serait alors celui qui explique ce que veulent les choses ; l'expert le plus sérieux se bornerait à traduire ce qu'elles disent silencieusement ; la stratégie la plus prometteuse se donnerait pour programme la transformation acceptée des hommes en choses.
Un mot résume ces croyances : évaluation. Longtemps anodin, il désigne aujourd'hui un ensemble de pratiques nouvelles et menaçantes. A chaque étape, l'évaluation met en place les procédures propres à instaurer l'absolu gouvernement des choses. Non seulement, elle saisit les hommes dans leurs activités extérieures évaluer les conduites, les résultats, les productions, mais elle prétend sonder les profondeurs de l'intime.
Aujourd'hui, on se prépare à évaluer les sujets comme sujets. A les frapper pour toujours du sceau de l'inerte. Plus radicalement qu'aucun de ses prédécesseurs, l'homme de l'évaluation est devenu chose, la dernière des choses, la plus passive d'entre elles, le jouet de toutes les forces qui passent. Il est question ici de la politique du siècle à venir.
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Court traité Tome 2 ; pour une politique des êtres parlants
Jean-Claude Milner
- Verdier
- Philosophie
- 3 Février 2011
- 9782864326373
Pour qu'il y ait politique, il faut que les êtres parlants parlent politique.
À partir de là, on peut soulever diverses questions : depuis quand, comment, pourquoi parle-t-on politique ? Premier élément de réponse : la politique commence avec la découverte qu'un être parlant peut en asservir d'autres sans avoir besoin de les mettre à mort. Le langage peut suffire. Deuxième élément de réponse : la politique permet à des êtres parlants de vivre dans le même espace, sans avoir à s'entretuer.
Mais vivre, mourir, tuer, cela concerne le corps. Parler politique, c'est donc aussi une technique du corps. Cette technique n'existe pas partout et, là où elle existe, elle n'use pas partout des mêmes procédés. En Europe, de nos jours, parler politique, c'est discuter politique. La discussion politique est une coutume locale, dont il convient de restituer le système. Elle repose d'abord sur une croyance : il faut que celui qui ne décide pas fasse semblant de se mettre dans la position de quelqu'un qui décide.
De là un rapport essentiel au théâtre et à la mimétique. Toutefois, il serait insupportable à ceux qui discutent d'admettre qu'ils sont uniquement des mimes. Par chance, certains événements historiques semblent attester que ceux qui ne décident pas peuvent matériellement prendre la place de ceux qui décident. On parle alors de révolution. Prise entre mimétique et révolution, la discussion politique entre au labyrinthe.
Un mot historique peut servir de fil d'Ariane. On l'attribue à Napoléon, s'entretenant avec Goethe: " Que nous importe aujourd'hui le destin ? Le destin, c'est la politique. " Analyser ce mot, vocable par vocable, cela permet de construire une grille de déchiffrement. On peut alors sortir des mirages et commencer d'affronter, en être parlant, le réel de la politique.
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Il est temps de relire la Révolution à la lumière du XXIe siècle. Il a duré une décennie ; la Révolution française aussi. Pour cette raison, elle doit être privilégiée. Déclaration des droits et Terreur, pour opposées que soient ces deux mémoires, chacune permet d'interpréter l'autre.
Au fil du déchiffrage, apparaîtront la révolution soviétique et la révolution chinoise. Il faudra bien réveiller les somnambules : si elles sont des révolutions, alors la Révolution française n'en est pas une. Si la Révolution française est une révolution, alors elles n'en sont pas.
Or, les droits de l'homme existent ; ce sont les droits du corps parlant. La révolution française les a rencontrés. De ce fait, elle a approché le réel de la politique. Au réel, les autres ont substitué la triste réalité de la prise de pouvoir. C'est pourquoi il n'y a qu'une seule révolution. Ce que nous voyons du XXIe siècle permet de relire la Révolution ; la révolution, relue, permet de comprendre ce que nous voyons.
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Les penchants criminels de l'Europe démocratique
Jean-Claude Milner
- Verdier
- Institut D'etudes Levinassiennes
- 6 Novembre 2003
- 9782864324010
Le couple problème/solution a déterminé l'histoire du nom juif en europe.
Le nazisme n'a fait qu'en disposer la forme ultime. l'europe ne peut pas feindre l'ignorance. d'autant moins que son unification, tant admirée, est la conséquence directe de l'opération hitlérienne. car il faut conclure. dans l'espace que dominait hitler, c'est-à-dire sur la quasi-totalité de l'europe continentale, l'extermination des juifs a été accomplie. ce que les experts politiques, depuis 1815, tenaient pour un problème difficile à résoudre avait, du même coup, disparu - en fumée.
Les choses sérieuses pouvaient commencer. aujourd'hui, le chemin est parcouru. l'europe est présente au monde, au point de s'y arroger des missions. une entre autres : faire régner la paix entre les hommes de bonne volonté. de ces derniers, cependant, les juifs ne font pas partie. c'est qu'ils portent en eux la marque ineffaçable de la guerre. l'europe, héroïne de la paix en tous lieux, ne peut que se défier d'eux, oú qu'ils soient.
Elle ne peut qu'être profondément anti-juive. les porteurs du nom juif devraient s'interroger. depuis l'ère des lumières, ils s'étaient pensés en fonction de l'europe. la persistance du nom juif au travers de l'histoire, la continuité des haines qu'il soulevait, tout cela devait trouver une explication dont les termes soient acceptables par l'europe. si celle-ci a basculé dans un antijudaïsme de structure, alors tout doit être repris depuis le début.
Comment le nom juif a-t-il persisté ? par un support à la fois matériel et littéral dont l'europe ne veut rien savoir : la continuité de l'étude. comment l'étude a-t-elle continué ? par une voie dont l'europe moderne ne veut rien savoir : la décision des parents que leur enfant aille vers l'étude. pourquoi la haine ? parce qu'en dernière instance, le nom juif, dans ses continuités, rassemble les quatre termes que l'humanité de l'avenir souhaite vider de tout sens : homme/femme/parents/enfant.
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Le projet de cet essai a plusieurs aspects.
Dans sa première partie, il reprend les principales figures de ce qu'on a appelé le " structuralisme ". saussure, dumézil, benveniste, barthes, jakobson, lacan, foucault. chacun de ces auteurs a son parcours propre et leur originalité réserve parfois des surprises. dans la seconde partie, il s'agit de mieux comprendre ce que recouvre le nom de " structuralisme ". car ce nom est équivoque. il désigne d'une part une entreprise proprement scientifique et d'autre part un mouvement de mode.
Chacun des deux épisodes doit être compris pour lui-même. du point de vue de la science, le structuralisme construit un paradigme nouveau; il remet en cause la répartition traditionnelle entre sciences de la nature et sciences humaines; il amorce l'effacement simultané de deux noms chargés d'histoire : le nom de nature et le nom d'homme. mais le mouvement de mode a lui aussi son importance. il a profondément bouleversé les dispositifs d'opinion, tels qu'ils s'étaient constitués au sortir de la deuxième guerre.
Parmi les enjeux du présent ouvrage, il y a celui-ci : tenter de restituer les déplacements et les innovations qui organisèrent, dans l'espace de la langue française, les années soixante.
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Le sage trompeur ; libres raisonnements sur Spinoza et les Juifs
Jean-Claude Milner
- Verdier
- 7 Mars 2013
- 9782864327189
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Court traité de lecture Tome 2 ; profils perdus de Mallarmé
Jean-Claude Milner
- Verdier
- 10 Octobre 2019
- 9782378560379
Le profil perdu désigne, en peinture, un mode de repré sentation : le sujet est saisi de dos, il tourne la tête vers le spectateur, en sorte qu'on voit la moitié de son visage et le dessin de son profil, mais tout cela est enveloppé d'ombre.
De même, chaque chapitre du présent livre s'appuie sur une donnée partielle. Puis il déploie les implications du détail choisi. Même en poussant l'analyse aussi loin que possible, il n'atteint jamais l'intégralité de Mallarmé.
Mais en choisissant plusieurs angles différents, l'ensem ble peut espérer saisir de lui une série de profils, inclinés de diverse manière et dont la lumière changeante fait ressortir des reliefs inattendus.
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Les mots et les choses nous enserrent dans une forêt obscure. Mais, dit-on, nous avons ce qu'il faut pour nous guider : nous sommes capables d'universel.
La lumière de l'universel est forte, constante et sûre. Telle est du moins la conviction que nous ont léguée plus de deux mille ans de philosophie. Paul de Tarse l'a renforcée, au nom du Christ. La politique a pris le relais.
Mais le doute est un devoir. Qu'arriverait-il, est-on en droit de se demander, si l'universel était un feu précaire ?
Il faut s'en approcher, sans crainte ni respect. On découvre alors que l'universel n'est pas né tout armé de la pensée d'un dieu, mais qu'il est oeuvre humaine. Il a une histoire et même des aventures.
Le roman de l'universel passe par les détroits de la parole, il ouvre des précipices et les unicités explosent. Solitaire pour tous, l'explorateur ne découvre pas une belle statue immobile, mais un labyrinthe mouvant de métamorphoses.
Je convie les êtres parlants à m'accompagner dans cette expédition.
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Clartés de tout ; de Lacan à Marx, d'Aristote à Mao
Jean-Claude Milner
- Verdier
- 8 Septembre 2011
- 9782864326588
Dans Clartés de tout, Fabian Fajnwaks et Juan Pablo Lucchelli, deux psychanalystes, interrogent Jean-Claude Milner sur son parcours et sur la place que Jacques Lacan y a tenue.
En répondant à leurs questions, Jean-Claude Milner a été amené à réexaminer ses propres positions sur la linguistique et sur la science moderne, sur sa théorie des noms et en particulier du nom juif, sur la transformation des relations entre capitalisme et bourgeoisie, sur la Révolution et sur la politique. Il est apparu que le nom de Lacan était mentionné à chaque étape. Jean-Claude Milner a eu ainsi l'occasion de mieux préciser sa dette : Lacan, selon lui, doit fonctionner comme un opérateur de clarté, non d'obscurité.
Le projet de livre surgit en cours de route. Pour qu'il soit mené à bien, les questions et les réponses devaient être ajustées et ajointées. Clartés de tout est le résultat de ce travail.
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La pensée antique s'était formée du plaisir une représentation construite.
Un paradigme : étancher sa soif, assouvir sa faim.
Un axiome : le plaisir est incorporation. On ne peut saisir ce que cela entraîne qu'en distinguant, de part et d'autre et d'autre du plaisir, deux autres termes : l'acte sexuel et l'amour. Plaisir, coït, amour constituent ainsi le triple du plaisir. Si le plaisir est incorporation, les termes peuvent-ils se combiner harmonieusement ? Telle est la question des sages.
Elle recèle un piège : au régime de l'incorporation, plaisir et coït jamais ne se noueront. Ou : il n'y a pas de plaisir sexuel. La philosophie propose ses solutions. Platon d'un côté : chasteté, prédilection, amours masculines ; Lucrèce de l'autre : multiplication des contacts, indifférence, amours féminines tout autant que masculines. Si opposées qu'elles soient, les deux solutions s'inscrivent dans un même paradigme, fondé sur la même évidence.
Voilà précisément ce que les modernes refusent. Nous sommes tous bien convaincus que le plaisir sexuel est possible en droit. C'est là le symptôme d'un bouleversement. Il a des conséquences. Une au moins : nous ne pensons plus le plaisir au registre de l'incorporation, mais au registre de l'usage. Témoignent du changement, la théorie marxiste de la valeur et la théorie freudienne du fétichisme. Ainsi le plaisir devient-il de part en part marchand et la marchandise devient l'alphabet du plaisir.
A un tel univers, le charme fait grandement défaut. Aussi la philosophie revient-elle et notamment Platon. Emmailloté le plus souvent dans les langues académiques, réduit à des bêlements plaintifs, il arrive parfois qu'il fasse entendre son discours avec une violence digne de lui. C'est le moment de Sade, de Baudelaire, de Pasolini, de Foucault. Ne trouvera-t-on cependant, pour nous délivrer, que les cygnes d'autrefois, pris dans les glaces de notre temps et condamnés au sol dur ?
Je ne le crois pas.
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Existe-t-il une vie intellectuelle en France ?
Jean-Claude Milner
- Verdier
- 2 Octobre 2002
- 9782864323679
à la question : existe-t-il une vie intellectuelle en france ? l'auteur répond résolument : non.
La vie intellectuelle n'est pas une donnée naturelle à la france, comme chacun semble le croire. bien au contraire, la société française lui est hostile, toute à ses rêves de clocher. quand d'aventure, une vie intellectuelle y trouve accueil, c'est par exception et à la suite de décisions guidées le plus souvent par un simple calcul d'intérêt. un épisode historique autorise une vérification quasi expérimentale : la troisième république.
Ce fut un des rares moments où la vie intellectuelle fut reconnue pour une chose d'importance. cela suivait d'une nécessité politique ; il fallait établir un régime républicain dans un pays qui n'en voulait pas. face à une société réticente, la machinerie politique jugea opportun de rechercher un appui auprès des gens d'étude - savants, artistes, écrivains. en échange, elle leur proposa quelques libertés et même quelques refuges ; sa provisoire bienveillance alla jusqu'à ne pas leur demander s'ils étaient ou non des français de souche.
De cela, à ce jour, il ne reste rien. tout simplement parce que la société s'est habituée à la forme républicaine et en a fait un clocher de plus. du coup, la vie intellectuelle ne sert plus à rien. jean-claude milner analyse les trois scansions qui ont jeté bas les dispositifs par quoi l'intellectuel pouvait se croire chez lui en france : la catastrophe de vichy, la rupture de la guerre d'algérie et le triomphe de la conception faible de la démocratie comme reflet inerte de la société.
" là où la société règne, toute pensée s'éteint. ".
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Qu'en est-il de ces formes - lignes, couleurs, volumes - qui soudain nous parlent une langue qui devient la nôtre, nous communiquent une force dont nous nous sentions dépourvus ? Je ne fais guère crédit au hasard, même s'il me faut admettre que la conjonction brusque des circonstances, l'espace et le temps conjugués en un lieu et une minute, peuvent décider parfois d'un destin.
Il en va des images comme des êtres de chair et de sang, hier encore ignorés de nous et que nous reconnaissons tout à coup, comme si depuis toujours une sorte d'attraction sidérale nous orientait infailliblement vers eux. Il ne nous appartient pas davantage d'en précipiter le cours, car l'instant qui en décide n'est pas inscrit au cadran de nos horloges, mais dans la lente maturation de nos existences, dans leurs énigmes aussi, leurs échecs.
Et peut-être que La Vocation de saint Matthieu, une toile peinte voilà quatre siècles par l'immense artiste que fut Caravage, m'attendait en effet, sans que je le sache, à ce moment de ma vie.
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Du récit au discours, de l'exercice de mémoire à l'aventure des images, le livre revêt une forme autobiographique explorant les origines d'un goût constant pour l'architecture.
Histoire d'un chemin qui conduit l'amateur vers son point de vue pour tenir une parole critique, dans la Ville devenue destin, horizon dominant. Tel est le projet d'un ouvrage qui rassemble des chroniques, écrites pour la revue L'Architecture d'Aujourd'hui, et des textes rédigés depuis pour en tracer la perspective, une ligne de fuite qui se dessine aussi à partir de collages réalisés en parallèle, autre, manière d'explorer encore un monde urbain.
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" jamais un philosophe ne fut mon guide.
" roland barthes résumait ainsi l'une des caractéristiques majeures de sa propre vie. il faut conclure : la pensée de barthes ne fut pas philosophique. pourtant, il n'avait jamais cessé de se tourner vers la philosophie, lui empruntant quelques formes de langue un certain usage de l'article défini, une transposition des adjectifs en substantifs, le recours aux majuscules. or la langue engage tout chez barthes.
En autorisant la philosophie à marquer la langue de son sceau, il faisait un pas vers la philosophie. ou plutôt dans la philosophie. ce pas philosophique le mena de sartre à platon, sans autre guide que lui-même. dans la caverne, pour en sortir sans rien perdre des qualités sensibles. puis pour n'en pas sortir, ayant cru découvrir qu'on pouvait y demeurer, dans quelque lumière à la fois éblouissante et intégralement endogène ; il se réclama du signe, en hommage à saussure, qui fut pour lui porteur d'une révélation.
Hors de la caverne, enfin, dans la lumière immobile du chagrin, sous le regard de la mère disparue, mais pour redescendre aussitôt, selon la loi, librement consentie, de la pitié. jouant des mille éclats d'un cristal de pensée, roland barthes écrivit à la fois un roman d'éducation et une phénoménologie de son propre esprit. page à page, texte par texte. j'ai souhaité en restituer la trame et le parcours.
J. -c. m.