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Phebus
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Nina, la " dominante ", ne veut pas seulement séduire Doris - qui ignore encore quelle sera tout à l'heure la " dominée ".
De leur rencontre érotique, Martine Roffinella ne dissimule rien : aucun geste, aucune parole, aucun fantasme - car les fantasmes, ces trésors par excellence cachés, inavoués, ne demandent à l'heure de l'amour qu'à être anis dans la lumière la plus crue, à se dire et à se montrer. Partage de l'inavouable. Conçu comme une lente montée vers le plaisir, Unes voudrait rappeler - Martine Roffinella y tient, quitte à choquer la bonne conscience féministe de ses soeurs - que l'acte d'amour entre deux femmes ne se différencie en rien de celui qui lie à l'ordinaire un homme et une femme.
Et que la " petite mort " n'est pas le privilège des garçons.
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L'auteur d'Elle a toujours refusé de caresser son public dans le sens du poil.
Les nouvelles ici rassemblées (au nombre de dix) tirent le portrait d'un monde - le nôtre - qu'on aurait bien envie de gifler. Martine Roffinella le fait pour nous, et sans trop retenir sa main. Combien de fois n'avons-nous pas ragé face à l'heureuse tranquillité de la bêtise officielle, aux feintes indignations d'une moralité qui suit le cours des modes, au sentimentalisme béat dont l'époque si bien se repaît ? Une rage que trop souvent nous gardons pour nous, faute d'interlocuteurs avec qui la partager de confiance.
Et voici qu'une main secourable ose ici souffleter à notre place toutes ces joues, toutes ces fesses respectables, en s'en prenant avec une prédilection gourmande aux valeurs que notre drôle de société tient pour les plus sacrées : les bébés, les vieillards, la réussite, la mort et ses pompes, la " commisération "... Martine Roffinella crache joliment (c'est-à-dire méchamment) dans la soupe. Le regretté Topor, veut-on croire, aurait aimé celle petite soeur indigne qui ne respecte pas les mêmes dieux que ses voisins, et ne le leur envoie pas dire.
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En publiant en 1988 son premier roman, Elle, Martine Roffinella en avait surpris plus d'un, et peut-être choqué quelques autres : elle avait un ou deux lustres d'avance sur les moeurs et la sensibilité de l'époque, c'est tout.
Elle revient ici à la fiction après dix ans de silence, sans chercher à rien tempérer. Amoureuse du bel excès, ennemie déclarée de la tiédeur bienséante, elle persiste et signe.
Deux femmes s'aiment et partagent tout de l'amour, ou voudraient tout partager.
L'une décide de partir, raptée par ce qu'elle imagine être un bonheur plus simple, banalement planté dans l'épaisse réalité des choses. On lui offrait jusqu'ici de symboliser en silence, dans le huis clos de la passion, l'Amour majuscule.
On lui tend à présent ce cadeau imprévu : l'autorisation de sortir de soi.
Il arrive qu'un leurre en cache un autre...
L'abandonnée n'a de réponse à cela que celle des âmes excessives autant mourir. Elle mourra donc, à sa façon : en se dépouillant des oripeaux d'un désir prisonnier des miroirs, un désir qui la détournait elle aussi d'être ; en se lançant avec rage à la poursuite des mots qui diront cette mort - ou cette naissance, comme on voudra.
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Elle...
Tel était le seul nom de l'héroïne du premier roman de Martine Roffinella : une femme... soumise au désir dévorant d'une très jeune fille. C'est elle, ou son double, que l'on retrouve dans ces pages, désirée toujours par une plus jeune qu'elle - l'Autre - mais mûrie. Et indécise toujours à l'heure d'affirmer, en marge des liens visibles qui l'attachent à l'Homme, la singularité d'un amour qui n'ose se décliner au grand jour.
" Je voudrais être un homme, dit l'Autre, pour avoir une chance, une unique chance d'être aimée de vous. Je voudrais être un homme. Aujourd'hui, demain, toujours en vos draps. Et entrer en vous avec mon membre dur. Me retirer, m'enfoncer encore, vous posséder, vous convaincre, vous laminer. Empoigner vos cheveux, broyer votre corps. Passer, repasser, épuiser vos régions... Je voudrais être un homme et vous attacher pour l'éternité à mon ombre.
Alors c'est vous qui seriez réduite à mendier, à supplier : toute au désir d'être à moi. " L'auteur revient donc sur le lieu de son plus beau crime. " Quel privilège, écrit-elle, que de pouvoir sans cesse enfoncer la lame du couteau dans la même plaie. C'est comme gratter une croûte : il ne faut pas le faire, mais c'est si bon, et meilleur encore quand l'on sait que c'est interdit. " Elle n'écrit, on l'aura compris, que pour nous entraîner du côté de ce qu'il ne faut pas faire.
L'époque étant ce qu'elle est, on l'en remerciera deux fois plutôt qu'une.