Moscou, années 1930, le stalinisme est tout puissant, l'austérité ronge la vie et les âmes, les artistes sont devenus serviles et l'athéisme est proclamé par l'État. C'est dans ce contexte que le diable décide d'apparaître et de semer la pagaille bouleversant les notions de bien, de mal, de vrai, de faux, jusqu'à rendre fou ceux qu'il croise. Chef-d'oeuvre de la littérature russe, «Le Maître et Marguerite» dénonce dans un rire féroce les pouvoirs autoritaires, les veules qui s'en accommodent, les artistes complaisants, l'absence imbécile de doute. André Markowicz, qui en retraduisant les oeuvres de Fiodor Dostoïevski leur a rendu toute leur force, s'attaque à un monument littéraire et nous restitue sa cruauté première, son souffle romanesque, son universalité.
«Une accoucheuse qui avait appris son art à la maternité de l'Hôtel-Dieu de Paris sous la direction de la fameuse Louise Bourgeois délivra le 13 janvier 1622 la très aimable madame Poquelin, née Cressé, d'un premier enfant prématuré de sexe masculin.Je peux dire sans crainte de me tromper que si j'avais pu expliquer à l'honorable sage-femme qui était celui qu'elle mettait au monde, elle eût pu d'émotion causer quelque dommage au nourrisson, et du même coup à la France.»
Quand Mikhaïl Boulgakov publie Coeur de chien en 1925, la Russie soviétique bénéficie d'une relative liberté créatrice avant la nuit noire du stalinisme qui s'annonce. En d'autres temps le sujet de son roman lui aurait valu quelques années de goulag. Que l'on en juge ! Un professeur greffe sur un chien ramassé dans les rues de Moscou l'hypophyse d'un individu qui vient de mourir. L'animal se métamorphose alors en un petit homme ivrogne, grossier et méchant : le donneur était un voyou alcoolique et sans scrupule. Et voilà le professeur harcelé et poursuivi par des comités étatiques et prolétariens en tout genre, guidés et fanatisés par le chien devenu homme. Et pire, homme de parti ! Comme toujours chez Boulgakov, l'irrationnel, la dérision et la folie rejoignent une réalité cauchemardesque. L'écrivain demeure le plus grand et le plus lucide des chroniqueurs satiriques de cette époque totalitaire et tragique.
Traduction nouvelle de Vladimir Volkoff.
La Russie des années 20 : un univers campagnard enfoncé dans la boue et les hivers rigoureux, hanté par des traditions immémoriales, rongé de tabous et de superstitions.
Tandis que dans les grands centres urbains la révolution bouleverse la vie et les mentalités, dans les profondeurs du pays un jeune médecin consacre ses forces à lutter contre le fatalisme et la résignation ambiants. Sept nouvelles racontent avec brio l'ordinaire de sa vie, où le pathétique sans cesse côtoie le drame, mais aussi, parfois, le grotesque et la farce. Un accouchement difficile, une intervention chirurgicale délicate, un voyage au coeur d'une violente tempête de neige pour rejoindre un malade éloigné... le moindre épisode, la plus mince anecdote tirés du quotidien revêtent sous la plume de Boulgakov la puissance de l'extraordinaire.
Les Récits d'un jeune médecin sont suivis de Morphine et des Aventures singulières d'un docteur. Morphine est l'un des plus beaux textes de Boulgakov, le seul où il explore jusqu'au vertige les gouffres de la détresse, de la maladie et de la folie.
Kiev, fin 1918 : c'est le début de la guerre civile en Ukraine. Boulgakov nous fait vivre cet événement à travers l'histoire d'une famille de Russes blancs, les Tourbine. Ils sont trois : Alexis, l'aîné, Helena et Nikola. Ils représentent cette intelligentsia qui reste fidèle à la monarchie, garde la nostalgie de la Russie traditionnelle et craint l'effondrement de ses valeurs. Abandonnés par l'armée allemande et les Alliés qui refluent vers l'ouest, ils vont voir arriver les bandes antisémites de Petlioura avant que l'Armée rouge ne reprenne la ville. Plongés dans la tourmente, les Tourbine vont ainsi devoir quitter leur belle maison familiale, son beau piano, son poêle en faïence et les lilas du jardin auxquels ils sont tant attachés. Ils finiront par accepter la « dictature » des bolcheviks.
Écrit en 1923-1924, ce premier grand roman de l'auteur du Maître et Marguerite était, a-t-on dit, le livre préféré de Staline car il montrait, mieux que tout autre, le chamboulement apporté par le communisme à la Russie ! Ce livre où Boulgakov a mis toute sa nostalgie aurait, non sans paradoxe, sauvé la vie de son auteur.
Boulgakov travailla jusqu'à sa mort au Maître et Marguerite. Le roman parut dans la revue Moskva en 1966-1967, amputé d'un bon tiers, pour cause de censure. Il fut néanmoins le grand événement littéraire de la période du «Dégel». Les Russes furent sidérés d'y découvrir une représentation à la fois délirante et plus vraie que nature de la réalité soviétique dans laquelle ils étaient encore plongés, et qu'ils avaient fini par ressentir comme plus ou moins «normale». Ils furent, aussi, incroyablement fiers de ce livre vite reconnu comme un chef-d'oeuvre, et dont on propose ici une nouvelle traduction - la première depuis plus de trente ans.Les théâtres, les comédies, les coulisses et les plateaux sont présents dans Le Maître et Marguerite comme dans les deux autres romans retraduits pour cette édition : La Vie de M. de Molière et Mémoires d'un défunt (Roman théâtral). Boulgakov était un passionné de théâtre. En partie inédites en français, ses oeuvres dramatiques - drames, comédies satiriques ou d'anticipation, pièces sur Molière ou sur Pouchkine -, viennent logiquement compléter ce volume. Sans oublier Batoum, pièce de commande sur la jeunesse de Staline, finalement non agréée par la maître du Kremlin. Une fois de plus, Boulgakov avait écrit «pour son tiroir» ; le Choix de correspondance qui clôt le volume révèle les conditions dramatiques dans lesquelles il composa l'une des plus grandes oeuvres de notre temps.
Les grandes découvertes, on le sait, sont souvent accidentelles.
Et celle que fit Persikov ce soir du 16 avril 1928 n'échappe pas à la règle...
Mais qui aurait pu prévoir l'épouvantable catastrophe.
Que des oeufs de poule on ne plus ordinaires allaient engendrer des grenouilles et des serpents géants et monstrueux ?
L'invention (fortuite) de Persikov, savant fou et génial est un rayon rouge qui permet une croissance accélérée. Un zélé et fort stupide serviteur du régime imagine repeupler rapidement les poulaillers des sovkhoses dévasté par une épidémie de Choléra.
L'imbécilité du personnage doublée de la gabegie de l'administration soviétique fera que les oeufs de poules seront interverties avec les colis d'oeufs de reptiles et de batraciens commandés par le savant Persikov pour ses expériences...
On ne saurait imaginer les conséquences en chaîne de ces événements initiaux...
Il résulte de cette expérience une monstrueuse éclosion de serpents et de crapauds géants qui sèment la panique dans la campagne, avant que les neiges hivernales aient raison de cette invasion aussi radicalement que des armées napoléoniennes.
Boulgakov mêle ici anticipation scientifique et dénonciation des absurdités de son époque.
La structure du récit est bâti sur un schéma analogue à « Coeur de chien » ou inversement (car écrit un an avant).
Un savant », sorte d'apprenti sorcier, déchaîne des forces néfastes qui se retournent contre lui - Comme la Révolution s'est retournée contre le peuple ?
Du moins tel pourrait-être le parti pris de Boulgakov dans ce court roman ou l'humour acide de l'écrivain fait merveille. Chef d'oeuvre qui n'a rien perdu de sa virulence.
Morphine, publié en 1927, mais dont l'idée germa dès 1917, alors que l'écrivain était responsable du dispensaire d'un chef-lieu de canton, relate le destin tragique d'un médecin devenu morphinomane.
« Le 17 janvier. Tempête, pas de consultation. Ai lu pendant mes heures d'abstinence un manuel de psychiatrie, il m'a produit une impression terrifiante. Je suis fichu, plus d'espoir. J'ai peur du moindre bruit, je hais tout le monde quand je suis en phase d'abstinence. Les gens me font peur. En phase d'euphorie, je les aime tous, mais je préfère la solitude. » Le journal halluciné d'une descente aux enfers, dans les affres du manque, aux limites de la folie, par l'auteur du Maître et Marguerite.
Dans la superbe traduction de Marianne Courg - 1992.
Le récit Morphine fut publié en décembre 1927, dans la revue Le Travailleur médical. En fait, le dessein premier de l'oeuvre est bien antérieur puisque Mikhaïl Boulgakov avait commencé à travailler sur ce texte dès la fin de 1917.
Il songeait alors à écrire un roman qu'il voulait intituler Maladie. L'ouvrage devait rendre compte de l'état d'esprit d'un Boulgakov bouleversé par les événements révolutionnaires. Certes il ne pouvait être question de publier un tel livre en Russie mais, en ces années-là, l'écrivain envisageait sérieusement d'émigrer. Ces circonstances expliquent sans doute pourquoi Mikhaïl Boulgakov revient en 1927 à un projet vieux de dix ans, elles expliquent pourquoi ce récit possède une telle intensité romanesque, un tel impact psychologique. Texte tendu à l'extrême, Morphine est aussi un véritable cryptogramme autobiographique où Mikhaïl Boulgakov expérimente pour la première fois cette structure en abyme qui sera magistralement utilisée dans Le Maître et Marguerite.
Il s'agit du journal d'un jeune médecin, le docteur Poliakov, affecté juste après la Révolution russe à un poste dans une clinique rurale. Il y sera le seul médecin, assisté d'Anna, une infirmière dévouée. Il est atteint d'un mal qui n'est jamais nommé dans le récit, mais dont seule la morphine parvient à atténuer les effets. À ceci s'ajoute l'isolement et la solitude, nouveaux pour cet homme habitué à la grande ville où il a suivi ses études. Poliakov tombe alors dans la toxicomanie sous le regard impuissant d'Anna, qui voit augmenter les commandes de morphine pour le dispensaire. Bientôt, le narrateur éprouvera les affres du manque et sombrera dans la détresse et la folie, dont seul le suicide le sortira.
Le journal du médecin retrace la chronique de sa dépendance à la morphine, de sa première injection à la dernière un an plus tard.
Il vit d'abord l'euphorie - Puis le désespoir. Le docteur Poliakov décrit minutieusement sa déchéance, la fréquence des injections et leurs effets. Il exprime sa détresse et raconte sa dépendance de plus en plus forte à la drogue. Il écrit dans son journal de bord : « Je suis empoisonné, ce n'est pas un journal mais l'histoire d'une maladie ».
Ce recueil de 26 textes, nouvelles, chroniques de la Russie des années 1920 -à 80 % inédits- , plonge le lecteur dans l'ambiance du communisme de guerre et de la NEP (nouvelle économie politique). L'auteur brosse une galerie de portraits (Nepman, ouvriers, paysans et gens du peuple) qui illustre la société soviétique de cette époque.
Un monde s'écroule. Il faut fuir ou essayer de s'adapter. C'est ce que font les personnages des deux pièces et des sept nouvelles réunies dans ce volume. On y assiste à la retraite de l'armée blanche depuis le nord de la Crimée jusqu'à Constantinople et à la naissance des appartements communautaires moscovites, aux violences de la guerre civile et aux stratagèmes déployés pour tenter de conserver l'intégralité de son logement. À la gravité onirique de la Fuite fait pendant le comique endiablé de l'Appartement de Zoïka. Mais malgré la diversité des registres, on voit circuler entre les pièces et les nouvelles des motifs dont certains annoncent le Maître et Marguerite : nostalgie de l'ordre ancien, bourreau dialoguant avec le spectre de sa victime, cohabitation forcée, incendies, travestissements cocasses, puissance quasi magique du moindre papier officiel. Ces histoires d'exil et de survie donnent la mesure de l'immense talent de dramaturge et de nouvelliste de Mikhaïl Boulgakov.
Qu'est-ce qui a poussé l'élégant et raffiné docteur Iachvine à assassiner délibérément l'un de ses patients ? Qui est cet homme qui s'est joint à un groupe pour visiter une vieille demeure russe ? Pourquoi est-il presque nu ? Tantôt graves et profonds, tantôt loufoques et légers, ces quelques textes révèlent toute l'étendue du génie de l'auteur du Roman de monsieur de Molière.
Mikhaïl Afanassiévitch Boulgakov (1891-1940), comme l'écrit dans sa préface Michel Parfenov, "eut le destin d'un vrai écrivain russe." Le présent volume retrace son itinéraire en réunissant cinq de ses principaux textes autobiographiques.
Morphine, publié en 1927, mais dont l'idée germa dès 1917, alors que l'écrivain était responsable du dispensaire d'un chef-lieu de canton, relate le destin tragique d'un médecin devenu morphinomane.
Ecrits sur des manchettes est un faux journal intime. Le vrai, tenu de 1922 à 1925, lui avait été confisqué au cours d'une perquisition, Boulgakov croyait l'avoir détruit. C'était compter sans le zèle de la police qui avait gardé, par devers elle, une copie du Journal confisqué.
Tandis que Staline mettait en place ce qui allait devenir l'une des deux entreprises totalitaires du siècle, Boulgakov, avec Evguéni Zamiatine, lui écrivit plusieurs lettres pour obtenir l'autorisation de partir à l'étranger. Ces Lettres à Staline lui valurent un coup de téléphone fameux de leur destinataire dont le résultat fut de lui assurer pour un temps un emploi et quelques ressources.
Une clémence surprenante, alors que le dictateur ne pouvait ignorer ses sentiments les plus intimes et son passé de médecin dans l'Armée blanche raconté dans Les Aventures extraordinaires d'un docteur.
Cette oeuvre est un chant né du silence. Parce qu'il n'a pas voulu insérer sa voix dans le choeur dirigé par les maîtres du Kremlin, Boulgakov fut condamné à écrire pour son tiroir. À sa mort, en 1940, on ne voyait en lui que l'auteur d'une pièce de théâtre, mais déjà les conditions étaient réunies pour que naisse un mythe : peu à peu sortirent de l'ombre des ouvrages dont la somme constitue le plus assourdissant démenti à toutes les formes de pessimisme. À mesure qu'elle était révélée, l'oeuvre de Boulgakov - instrument de la libération intérieure d'un écrivain isolé, muselé, persécuté - apparaissait comme un acte de foi dans les plus hautes valeurs humaines.
Ce volume en propose, dans des traductions nouvelles, différentes facettes : romancier de la période révolutionnaire (La Garde blanche), explorateur de lui-même (Carnets d'un jeune médecin, Notes sur des manchettes), auteur de nouvelles qu'il qualifiait de fantastiques (Endiablade, Les oeufs du destin, Coeur de chien), Boulgakov est aussi un journaliste satirique : empreints d'une vitalité à toute épreuve et d'un comique qui confine parfois au cocasse, ses extraordinaires articles de variétés sont offerts pour la première fois au public français.
Réduit au silence dès la fin des années vingt, mais épargné par la terreur stalinienne, mikhaïl boulgakov (1891-1940) est l'auteur d'une oeuvre immense, dont la plus grande partie resta inédite de son vivant.
Découverts plus d'un quart de siècle après sa mort, ses romans ont désormais leur place parmi les classiques de la littérature russe, et le maître et marguerite, son chef-d'oeuvre, est devenu un livre-culte.
Dès la garde blanche, qui raconte la chute de kiev, le 14 décembre 1918, boulgakov assigne à la littérature la tâche de maintenir envers et contre tout la cohésion d'un univers menacé par le cataclysme de la révolution.
Telle sera, à partir de la vie de monsieur de molière et du roman théâtral, la vocation de ses héros, écrivains maudits, victimes d'un pouvoir implacable. parcourue par des airs d'opéras, émaillée de réminiscences littéraires, graves ou parodiques animée par la magie du théâtre, l'oeuvre romanesque de boulgakov est nourrie d'une longue tradition, à commencer par celle de hoffmann et de gogol, ses grands maîtres.
Comme ces bâtisseurs qui réutilisaient les pierres de temples détruits, boulgakov construit, avec des fragments de l'ancienne culture, un édifice original, où se côtoient créateurs et tyrans, vampires et bureaucrates, personnages bibliques et poètes prolétariens, et où les fêtes de versailles préfigurent le grand bal chez satan.
Le rêve, le fantastique, l'irrationnel sont là pour dire l'indicible oppression d'un pouvoir totalitaire, la sourde angoisse d'une violence aveugle que seule peut conjurer, dans un éclat de rire libérateur, la jubilation de l'écriture.
Dans la jeune Union soviétique des années 1920, Korotkov, modeste chef de bureau au Premier Dépôt central de matériel pour allumettes, est renvoyé du jour au lendemain. Révolté par cette injustice, il découvre peu à peu qu'il vit dans un monde peuplé de cauchemars dont seule la folie lui permettra de s'échapper.Une dénonciation satirique et fantastique d'une bureaucratie tentaculaire et diabolique par l'auteur du Maître et Marguerite.
Un jeune médecin réserviste envoyé par le gouvernement de Smolensk débarque à vingt-quatre ans dans un coin perdu dont il va diriger l'hôpital.
Epouvanté à l'idée de devoir se lancer d'urgence dans une trachéotomie sur une fillette de trois ans, moins de deux mois après la fin de ses études, le jeune docteur se prépare avec des sueurs froides à pratiquer une intervention jamais réalisée. II ouvre la gorge au bistouri, écarte les peaux, éponge un flot de sang noir. "De trachée-artère, pas la moindre trace. Ma plaie ne ressemblait à aucune gravure." Récits littéraires nourris de son expérience personnelle de 1916 à 1917, les Carnets d'un jeune médecin, longtemps censurés, n'ont été publiés en Russie qu'après la mort de Boulgakov dans les années soixante.
Mikhaïl Boulgakov, l'auteur du Maître et Marguerite et Un coeur de chien a toujours été fasciné par la figure du diable, lequel, plus qu'un calomniateur, est un véritable accusateur, un farceur qui fait voler en éclats le glacis soviétique. Il y a des époques où tout se paye. Plus aucun de ses textes ne fut publié après 1928. Il mourut en 1940, oublié de ses contemporains, émigrant de l'intérieur.
En 1935, l'année de création d'Ivan Vassilievitch, Staline étendait la peine capitale aux enfants de douze ans après avoir interdit tout recours contre les sentences de mort prononcées par les juridictions spéciales du NKVD - la police d'État. C'est avec ce repère historique en tête qu'il faut lire Ivan Vassilievitch. Alors on goûte mieux l'insolence formidable et l'humour dévastateur de cette pièce en trois actes, pleine de rebondissements, de quiproquo et de coups de théâtre. Hélas, catalogué de petit-bourgeois réactionnaire, Boulgakov ne verra jamais monter son oeuvre théâtrale, ni publier ses romans. La censure savait ce qu'elle faisait : nul doute que cette pièce aurait connu l'énorme succès que ses répétitions présageaient. Dans un décor familier à tous les soviétiques - un appartement communautaire - Timoféïev, un savant fou a mis au point une machine à faire tomber les cloisons du temps et de l'espace. Son déclenchement met en scène Ivan le Terrible en même temps que le terrible Ivan, syndic de l'immeuble qui, s'il porte le même nom que le tsar, lui ressemble aussi comme un jumeau. Sur le principe des poupées russes, ce vaudeville truculent et sarcastique cache une satire du pouvoir, qui dévoile à son tour celle de la société moscovite, puis de l'intelligentsia de l'époque.
Le génie satirique de Boulgakov est tel, que la machine de Timofeïev se met en marche pour chaque lecteur, quels que soient le monde, l'époque, et la société qu'il habite. Il ne peut plus alors que pleurer...
De rire.
Christiane Rancé
The devil makes a personal appearance in Moscow accompanied by various demons, including a naked girl and a huge black cat. When he leaves, the asylums are full and the forces of law and order in disarray. Only the Master, a man devoted to truth, and Margarita, the woman he loves, can resist the devil's onslaught.
The devil comes to Moscow wearing a fancy suit. With his disorderly band of accomplices - including a demonic, gun-toting tomcat - he immediately begins to create havoc. Margarita discovers that her lover has vanished in the chaos. Making a bargain with the devil, she decides to try a little black magic of her own to save the man she loves.
" Le sommeil de la raison engendre des montres " -ce titre de Goya pourrait servir d'épigraphe aux deux hallucinantes nouvelles réunies dans ce recueil.
Comme dans Le Maître et Marguerite ou Coeur de chien, le point de départ de Boulgkov, ici, c'est le réel, et pourtant, d'entrée de jeu, les dés sont pipés, car ce réel -la réalité soviétique des années vingt- est si insolite, il présente de telles anomalies, de tels gauchissements, qu'il constitue un terrain particulièrement favorable à la prolifération du fantastique.
Toute réalité comporte, il est vrai, une bonne dose d'irrationnel, à y regarder de plus près ; cependant, tout est une question de degré.
Dès l'instant où un certain nombre de critères élémentaires sont remis en question, dès lors que le bon sens et la raison sont mis en hibernation artificielle, l'engrenage diabolique est enclenché. Quand, sur simple décision administrative, on peut payer des travailleurs avec des allumettes qui ne s'allument pas, escamoter sans explication un chef de service chevronné pour le remplacer par un rustre omnipotent, ou passer outre aux mises en garde solennelles d'un savant de renommée mondiale, la déraison est d'ores et déjà installée dans la place.
Le destin n'a plus alors qu'un petit coup de pouce à donner. et fouette, cocher ! Le délire mène le train. Rien d'un " Goitre-de-Chèvre ", ni même les coassements funestes des crapauds de Chérémétievka et les hurlements prémonitoires des chiens de Kontsovka. Quand sonne l'heure des Rokks c'est que le destin est en mal de diablerie.