Filtrer
Christian Prigent
-
Retour à la «nature». Mais moins vue (sites) qu'éprouvée (matières : physique et chimie). Décors et figures roulés dans la farine syllabique, embrouilles avec l'espace, méli-mélo de temps, cadences têtues, ratures pour rire, ratés calculés : appelons ça poésie. On n'y gagne qu'un déséquilibre. Comment s'est-on fourré dans ce guêpier ? : vite fait, un peu d'histoire ; salut à des amis, qui en furent ; un coucou à l'éros qui fait écrire ; et, les temps étant venus, legs des rogatons. Rideau.
-
"Craduire : se doter volontairement d'une incompétence, désapprendre les langues, comprendre autre chose que ce qu'il faudrait. Cette pratique de la craduction court de Rabelais et Molière jusqu'à Verheggen et Desproges, en passant par Hugo, Jarry, etc.
Après un premier opus centré sur l'héritage latin, les auteurs étendent ici leur méthode à d'autres langues étrangères : italien, espagnol, anglais, allemand, grec, portugais, breton. On quitte alors le domaine des citations célèbres et maximes profondes pour celui, plus prosaïque, des guides de conversations, des dépliants touristiques et des indications pratiques.
Ce livre comprend plus de quatre cents énoncés traduits crado modo, ordonnés selon les rubriques des meilleurs magazines. Un appendice donne les traductions officielles couramment proposées par ailleurs pour chacun des énoncés ""craduits""." -
-
Dans ce troisième volet d'un cycle amorcé par Les Enfances Chino (2013), Les Amours Chino (2016) et Chino aime le sport (2017), Chino visite les jardins de son enfance. Ce livre est un roman mais rien n'est chronologique. Entre 1950 et 2019, les époques se mêlent. N'apparaissent que des mondes furtifs, des souvenirs à trous. Tout se forme et se déforme dans une langue qui passe sans crier gare de l'élégiaque larmoyant au mirliton comique, du savant au populaire, du français grand style aux argots.
C'est aussi un grand éloge du jardin. Pas de lieu plus fini qu'un jardin : clos, cadastré, et aucun qui soit davantage capable d'infini. Dans tous passent les odeurs, les couleurs et les bruits qui font resurgir par associations sensorielles la matière d'une vie. Dans ce monde « merveilleux » tout parle, les morts comme les vivants ; même les arbres, les sangliers, les biscottes, la confiture, le café au lait, la lune, les étoiles et les cailloux. L'Histoire s'y déploie parce qu'au fond du décor passent des personnages qui en portent les stigmates. En 1956, à la gadoue du jardin désaffecté de J., ex-parachutiste d'Indo, se superposent les tas de boue de Diên Biên Phu. En 1957, un réveillon en famille au bout d'un lopin glacé fait sortir des sabots des grands-parents les génies de leur monde rural agonisant ; quelques photos de morts ramènent des souvenirs de 14-18 ; la guerre d'Algérie s'incruste à cause de cousins absents, envoyés aux Aurès par la IVème République. Chino au jardin est aussi le conte d'une vocation : « Ferastu poète ? » Aragon et André Breton reviennent tout salés de la pêche à pieds. Francis Ponge reçoit en short dans son bois de pins. Sur l'estran barbotent quelques Têtes-Molles : René Char, Saint-John-Perse, Eluard.
-
Recueil de transcriptions de « partitions » composées pour des lectures-performances publiques. Un CD est joint à ce livre, comprenant la lecture par l'auteur, seul ou accompagné de l'actrice Vanda Benes, de la totalité des textes.
Projet : faire éprouver le poids de langue hétérogène, incentré, troué et dissonant dont est faite la rumeur de fond d'où tout écrit tire le matériau qu'il va formaliser.
Cette rumeur, c'est « l'expérience » : non pas la vie nue (une « nature » hors langue) - mais le réseau des représentations toujours-déjà verbalisées dans lequel nos vies se déplacent, se déforment et se reforment.
-
Le Professeur se compose en 28 chapitres qui sont autant de saynètes pornographiques qui ponctuent une relation amoureuse.
Un vingt-neuvième chapitre, intitulé Fin, clôt ce récit. Chaque chapitre est composé d'une seule phrase, longue (plusieurs pages), écrite selon un rythme lancinant, parfois heurté, syncopé. Il y a ici une confrontation violente entre le travail formel, « abstrait » de la langue, et le sujet, pornographique, où le corps et ses élans sont présents dans toute leur crudité. Ce livre se situe dans une droite lignée bataillienne, il en est même un hommage, où la notion de « pure perte », chère à Georges Bataille, est ici remplacée par Christian Prigent en « part putain ».
L'histoire : un professeur initie une élève à l'amour, selon les codes de la possession. Effectivement, leur relation relève du domaine du sadomasochisme : lui dans le rôle du maître, elle dans celui du sujet docile. Lui édicte les règles, elle obéit et « fait au mieux » : elle accepte toutes les règles du jeu, acceptant pour cela toutes les aventures, même les plus inédites et les plus risquées. Quant à lui, il va jusqu'au bout de son imagination, au bout de son désir.au bout du possible, jusqu'au pire de sa désespérance.
Car dans cette histoire, plus que d'aller au bout de ses fantasmes, le but est bien plus d'oser aller jusqu'au bout de ses peurs, de ses angoisses existentielles, pour tenter de s'en libérer, et la dimension tragique de ce livre est bien, justement, dans la conscience nue de l'impossibilité de cette quête. Derrière ce récit pornographique, se révèle une véritable parabole sur la conscience d'être mortel, au sens philosophique du terme.
-
-
La Langue et ses monstres est un recueil de vingt essais portant sur des écrivains de la « modernité ».
Les onze premiers figuraient dans l'édition princeps de l'ouvrage (chez Cadex, en 1989). Ils concernent d'abord quelques figures emblématiques du xxe siècle : Gertrude Stein, Burroughs, Cummings, Khlebnikov, Maïakovski ; puis des vivants remarquables apparus dans le dernier quart dudit siècle : Lucette Finas, Hubert Lucot, Claude Minière, Valère Novarina, Marcelin Pleynet, Jean-Pierre Verheggen.
Ces textes avaient été rédigés entre 1975 et 1988 dans le contexte des débats d'époque (la fin des avant-gardes historiques et l'effort de quelques-uns pour maintenir, envers et contre toute liquidation réactionnaire, l'exigence d'expérimentation littéraire). Tous ont été repris et corrigés dans l'intention d'en éliminer le plus crispé par les polémiques du temps et le plus marqué par un vocabulaire théorique daté. Le même objectif a conduit à éliminer pour cette réédition le préambule et le bilan de l'édition originale.
Les neuf essais suivants ont été composés entre 2005 et 2014 pour des revues, des préfaces, des actes de colloques. Tous ont été refondus pour la présente édition. Ils réfléchissent sur Sade, Jouve, Artaud, Ponge, Pasolini, Jude Stefan, Bernard Noël, Éric Clémens, Christophe Tarkos. De Sade (1800) à Tarkos (1990) ils encadrent donc historiquement les onze textes qui précèdent. Du point de vue de la théorie littéraire et de l'analyse stylistique, ils tentent de réfléchir sur ce qui constitue, en dehors de toute préoccupation « avant-gardiste », un effort « moderne » d'invention écrite. Et ce jusqu'à l'apparition récente des textes de Christophe Tarkos, qui nous ont invités à repenser, une fois de plus, les causes et les effets de cet effort.
Ce livre n'est donc pas qu'une réédition mais, largement, un ouvrage nouveau. On y trouve des propositions sur les fameuses « grandes irrégularités de langage » (Georges Bataille) inventées par les poètes les plus déroutants du xxe siècle : les poétiques « anamorphosées » de Cummings ou de Bernard Noël, l'érotisme à la fois savant et énergumène de Pierre Jean Jouve ou de Jude Stefan, la « violangue » telle que la pratique un Jean-Pierre Verheggen, le « babil des classes dangereuses » réinventé par Valère Novarina, le « jeu de la voix hors des mots » dans les poèmes zaoum de Khlebnikov, les « glossolalies » façon Antonin Artaud, le « cut up » de William Burroughs, etc.
Mais, au delà, bien d'autres questions sont évoquées : le rapport littérature/science/philosophie (chez Sade ou chez Clémens), le lien entre les choix stylistiques et les postures politiques (chez Maïakovski, Ponge ou Pasolini), l'articulation entre les monstrueuses reconfigurations verbales que pratiquent tous ces auteurs (ainsi Vélimir Khlebnikov ou Antonin Artaud), les crises subjectives dont elles sont l'effort de résolution et l'impact qu'elles rêvent envers et contre tout d'avoir sur le corps social qui en reçoit les coups.
Le pari est que ces questions ne sont pas, quoi qu'on en dise ici et là, de vieilles lunes. Mais des interrogations fondamentales. Fondamentales en tout cas pour les lecteurs qui ne se contentent pas de fables distrayantes, de sociologie romancée ou de suppléments « poétiques » à la rudesse des vies.
Fondamentales pour ceux qui voient dans la littérature une expérience radicale de ce qui nous parle et nous assujettit. Une expérience qui n'a d'intérêt que si ses voix excentriques traversent les représentations couramment admises pour composer de nouveaux accords avec le désir des hommes, leur angoisse, leur sensation d'un monde vivant.
Ceux dont parle La Langue et ses monstres ont relevé ce défi. L'auteur des essais qu'on trouve dans ce livre a d'abord tenté de se rendre plus clairs les effets que quelques oeuvres « monstrueuses » exerçaient sur lui. Cet effort a fait lever des questions : de quoi parlent ces oeuvres qui nous mènent « au bord de limites où toute compréhension se décompose » (Bataille) ? quel « réel » représentent-elles dans leurs étranges portées ? de quelle nature est la jouissance sidérée qu'elles provoquent en nous ? de quels outils disposons- nous, et quels autres devons-nous forger pour en déchiffrer les intentions ? en quoi ce déchiffrement peut-il nous aider à mieux évaluer ce dont on parle en fait quand on parle de littérature (l'ancienne comme la moderne et aussi bien la plus contemporaine).
-
Celui qui parle traite d'une difficulté comique à se dépêtrer de son propre tas, à naître, à parler, à entrer chaque matin dans la vie d'action, de conversation et de profession. Il n'expose pas les tranches de sa vie mais refait en langues sa vie de non-vie et sa vie d'envies : visite des souvenirs montés à l'envers, choses vraies vues par-derrière, baudruches des fictions sur des ciels exacts : voici les jeunes gredins des soleils lointains, les essais d'idylle version bocagère et les mélodrames avec plusieurs dames ; voici les vestiaires pour peaux strip-teasées à fond sur du rien ; voici la gymnastique d'Eros dans des greniers crâniens ; voici le music-hall à fonction critique, le Château des Par-Quatre des parfaites familles, la fête politique sur ses tréteaux en toc ; voici Judith, Nausicaa et leurs avatars ; voici Calypso, Circé, Clélie, Juliette, Pandora ; ciao, Artemisia, woman number one ! bonjour, Père Caboche ! ça va, Mère Pinard ? salut Ferdi Kubler, Louise Brooks et LoIlobrigida ! Le monde d'esprit passe dans son train fantôme repeint en idiot sur des toiles foraines. C'est fait pour se muscler la langue : bousculades des souffles, contorsions rythmiques des sites syllabiques, roulement des phrases sur la déflation des scènes ravagées, exercices pour commencer, naître et dire : merci, je vis, j'écris, congé à la folie !
-
La sensation de ne pas «être au monde» ne suppose pas qu'il y ait un autre monde, dont nous aurions la nostalgie ou le désir. C'est simplement le prix que nous payons pour parler. Car, parlant, nous tenons le monde à distance et n'avons avec lui d'autre rapport que médiiatisé par le redoublement symbolique. Alors que le monde est en souffrance en nous et notre malaise naît de cette attente frustrée. Mais cette souffrance est aussi la condition de notre aspiration à un rapport fusionnel, prolixe, acharné avec les choses, les corps, la «nature»... La question de la «poésie» est celle de cette habitation paradoxale du mondre par les êtres parlants. Elle dit l'absence du parlant au monde et son effort pour combler l'absence. Elle est travaillée par un rêve d'adhésion au monde (d'où son obsession analogique : comparaisons, métaphores) ; en même temps, elle note, parce que travail de langue, l'expérience vraie du parlant : inadéquation des mots aux choses, obscurité muette du monde, résistance du réel à l'imposition du sens. Âme est l'un des mots les plus galvaudés par la mystique, la littérature, la poésie. C'est que âme est un signifiant pur : le nom de rien. Le nom de ce rien qui s'ouvre dans le monde à chaque fois que la langue s'évertue à le dire. Le nom de l'écart, de la séparation, de la «différence non logique» (Bataille définit ainsi la matière). L'aura insignifiante des choses, infusée dans la langue et la hantant d'une vacuité qui la scande de portées sonores er rythmiques imprenables par le sens. Les poèmes de L'Âme sont des essais d'enregistrement de cette vacuité dont le jeté fait abstraitement bouger, dans le temps d'une journée exemplaire et banale, la diction de quelques choses perçues, de quelques corps aimés, de quelques paysages vus, de quelques bribes de savoirs : dérapages, petites catastrophes du sens, lame de l'âme passée entre le réel et les mots.
-
- Salut les modernes : Où est, dans la poésie d'aujourd'hui, le nouveau ? Bien présomptueux serait celui qui prétendrait le savoir.
On ne peut faire mieux que s'alerter (question d'oreille) du phénomène de l'invention. Voici quelques écrits poétiques, récemment parus. D'une certaine manière ils font " école ". Une étrangeté coriace s'y affirme qui défie la lecture. Des noms ? : Philippe Beck, Charles Pennequin, Christophe Tarkos. Ces noms ne prétendent pas couvrir le champ. Leurs écrits m'ont simplement donné un peu plus fortement que d'autres la sensation d'un phénomène nouveau.
Affaire de goût, sans doute. Et d'affinités. Dans la différence, aussi bien - éventuellement violente. D'où, adressées à eux, quelques remarques et quelques questions.
- Salut les modernes : Voici quelques lectures, voire explications de textes, dans des oeuvres anciennes (de Lucrèce à Jarry, en passant par Marot, Voiture, Balzac, Maupassant, Mallarmé, Rimbaud, Verlaine). Elles se veulent un peu décalées, un peu décollées vers...
Autre chose (la fiction ? la poésie ? l'aventure de la lettre ?). Elles s'appuient sur une conviction : que les modernes ne sont pas les enfants des anciens mais que, plutôt, la perplexité qui nous vient des modernes nous fait regarder les anciens d'un oeil moins tué d'indifférence et qu'ainsi nous pouvons les réenfanter : les rendre à l'inquiétude de la vie.
-
Berlin sera peut-etre un jour
Christian Prigent
- La Ville Brule
- Rue Des Lignes
- 19 Mars 2015
- 9782360120598
Berlin sera peut-être un jour est une réédition revue, complétée et mise à jour d'un ouvrage publié en 2005 aux éditions Zulma sous le titre Berlin deux temps trois mouvements . 10 ans après la première parution de ce texte remarquable, l'un des plus beaux écrits jamais écrits sur la ville, Christian Prigent fait le point sur le Berlin d'aujourd'hui. Il évoque, sur un ton à la fois lyrique, nostalgique et humoristique cette ville qui n'est jamais sortie de son coeur. Cet anti-guide de Berlin est un ouvrage essentiel et rare, le meilleur jamais écrit sur cette ville. L'écriture magistrale de Christian Prigent nous permet de toucher du doigt aussi bien le poids d'une histoire brutale que l'imaginaire de cette ville à nulle autre pareille.
-
Pour expliquer le titre de ce nouveau livre, Christian Prigent cite l'écrivain russe Velimir Khelb- nikov (1885 - 1922) : « Nous avons besoin de point d'appui, c'est-à-dire de journaux intimes ». Mais le titre peut s'entendre aussi négativement : Pas d'appui ! Pour tenir, résister, il faut à la fois chercher en soi, s'éprouver, et lire, regarder, penser.
Point d'appui est autant un journal qu'un livre de combat. On passe par des rêves notés le matin même, des pensées du jour, des anecdotes souvent drôles, des critiques de films, de livres, d'auteurs (Houellebecq), des polémiques, des questions d'actualité ou d'histoire, des souvenirs litté- raires, des visions mais aussi des poèmes, des interludes (« haïku pour rire, mirlitonades fastoches »).
On y croise de nombreuses théories, de nombreux sentiments. On y parle des défunts, des amis. À la lecture, nous découvrons l'atelier intime de l'écrivain, où se forge sa pensée et sa langue. Il nous ouvre l'espace de ce que lui-même appelle son « désoeuvrement dépressif », et que vient combler l'écriture diariste. Tout est disparate mais comme l'écrit Christian Prigent « l'alternance fait rythme, une architecture émerge ».
-
Dans les «langes» des «coupures de journaux», disait Blaise Cendrars, nous arrive «le bébé aujourd'hui». Le voici, tout juste démailloté. Son lange est un journal, avec ses rubriques (société, politique, sports, sciences, gastronomie, météo, culture...). Chacune d'elles est recomposée en vers satiriques. Mais moins pour «châtier les moeurs» que pour dire, bouffonnement, une stupéfaction un peu effrayée.
-
Ne me faites pas dire ce que je n'écris pas
Christian Prigent
- Cadex
- David
- 1 Avril 2004
- 9782913388505
-
-
Le monde est marrant (vu à la télé)
Christian Prigent
- P.O.L
- Blanche P.o.l.
- 12 Juin 2008
- 9782846822572
Ce volume rassemble une série de chroniques sur la télévision, parues bimensuellement, pendant deux ans, dans le magazine Le Matricule des anges. On y évoque par exemple des séries comme Caméra Café, des documentaires comme L'Odyssée de l'espèce, des émissions « culturelles » comme Corpus Christi, etc. Mais il ne s'agit pas d'un essai sur la télévision : savamment pensif, forcément critique, naturellement moralisateur et fulminant. C'est plutôt la confession d'un qui presque chaque soir (aux heures de préférence les pires, celles dites « de grande écoute ») se vautre devant la boîte à vider les cerveaux. Qu'est-ce qui pousse à communier dans l'idolâtrie devant ce petit autel d'insignifiance et de trivialité ? Pourquoi aimer à ce point une telle servitude ? Allumer le récepteur, c'est ouvrir un dictionnaire des idées reçues, une encyclopédie des veuleries du siècle, le Quid de ses snobismes, de son mauvais goût mercantile, de ses violences spectaculaires ou doucereuses. Rien de plus navrant que la vie et le monde vus à la télé. Mais, à ce point de bêtise et de crudité, rien non plus de plus marrant. Facile : suffit de zapper, à la fois consterné et hilare ; puis, en à peine accéléré, rien qu'un peu décalé, de décrire les images plates et de recopier les dialogues chromos qui déboulent, de journaux télévisés saucissonnés en grande solderie de séries planétaires, via les bouffonneries publicitaires, les cérémonies météorologiques, les sitcoms ménagers, les feuilletons tiroir-caisse et les docu-fictions en peau de lapin pour les presque nuls. Tout est là. Et hop, moteur : tout tourne à la farce, c'est guignol, c'est carnaval !
-
«Je suis de ces écrivains qu'on dit difficiles, voire illisibles. Ce n'est pas être en mauvaise compagnie. Mais qu'est-ce qu'être illisible? qui en décide? sur quels critères? et qu'est-ce que ce langage littéraire vraiment incompréhensible dont Antonin Artaud nous assurait qu'il était en même temps (voire : pour cette raison) incompréhensiblement vrai? de quelle vérité son obscurité a-t-elle vocation et peut-être pouvoir de nous faire part? À partir de ces questions et au travers de quelques oeuvres emblématiques (Philippe de Beaumanoir, Mallarmé, Artaud, Beckett, Gertrude Stein...) ou symptomatiques des interrogations de notre présent (D. Roche, 0. Cadiot ...), une réflexion sur cet obscur mouvement (la littérature, peut-être) qui route la langue dans la langue et refait à chaque fois, sans issue vers le ciel de l'imaginaire ni vers la terre de la paisible mimésis, la démonstration de notre paradoxal statut de séparés par les mots.»
-
Une «phrase», unique, ressassée, scandée de refrains obsessionnels, trouée d'apartés réflexifs et de digressions, enroule un long lamento-bouffe. Son mouvement tente de régler le compte des désirs, des angoisses et des chagrins voués à la figure à la fois tutélaire et défigurée de la mère. Mais la mère, ici, n'est pas, ou pas seulement, la mère biologique : la mère c'est «le tuyau, la paille, le roseau calamiteux par où le monde nous trait, nous tire, nous boit, nous suce et nous crache» ; la mère, c'est «tout ce qui fait qu'on habite la chair ici-bas sur terre comme les autres viandes, mais avec des mots». Du choc langagier naissent les néologismes les plus divers, les reproches les plus amers, les plus drôles surtout, les apartés réflexifs... sans jamais de pause, la pensée constamment en éveil. Au fil de la phrase passent des scènes fugaces, des personnages vite perdus de vue, des dialogues ahuris, des méditations burlesques, des bribes de poétique tordue : une autobiographie fantasmée, tournée en confusion, emportée dans une vitesse de catastrophe comique.
-
-
«D'autres, jadis, ont dit Nature, Dieu. Voire, plus récemment, Choses, Corps, Réel... Ou encore l'innommable. Ainsi ma-mère, icône opaque. Ce qui jette moi à la jouissance mélancolique du monde et, simultanément, à la manie d'expression. Cette manie est peut-être la poésie : défi à l'idole, paradoxale force d'oubli, passion idiote ressassée pour poncer et exiler l'affect.»
-
Un long poème de Christian Prigent pris dans les couleurs du peintre Serge Lunal : À la Dublineuse est un livre haut en couleur. Le cadeau que Cadex se fait à lui-même.
"Rentrez vos yeux dans vos naseaux" dit le long poème écrit il y a quelques années par Christian Prigent et jusque-là inédit. À la Dublineuse fait dans son titre référence à Joyce et évoque la mer qui sépare la France de l'Irlande. Mais c'est bien de vision qu'il est question dans ces joyeux vers : le paysage mis à plat ressemble à un tableau. Du rose des viandes, au violet du sujet en passant par le "fond rouge/muqueuse de l'eau qui bouge", le texte porte sa propre palette que rehausse les couleurs avec lesquelles il a été imprimé : bleu le plus souvent, il lui arrive d'alterner sur la page le rouge, l'orange et l'outremer. Mais comme si cela ne suffisait pas, le peintre nîmois Serge Lunal s'est emparé de lui pour le plonger dans un maestro de couleurs, vives comme des courants marins les jours de grande marée. Ça secoue drôlement les mirettes d'une double page à l'autre, jouant comme le texte joue, alternant l'invasion des rouges, le surgissement des bleus, noyant ici le texte, le rejetant là sur le bord de la page, lui laissant ailleurs une île de blanc où s'étendre. On connaissait la propension de Prigent à faire jouer les mots comme un potache scatologique ("Je t'ai salie vieille eau d'séant"). Associé à la vigueur du pinceau de Lunal, le comique prend ici quelque chose d'enfantin, dans une apparente spontanéité qui emporte tout. Tout le livre est recouvert de peinture, comme s'il avait été trempé dans la matière même des couleurs. Le travail remarquable de la photogravure nous fait voir les lignes de force et de brisure du geste du peintre, où se lisent quelques citations du mouvement Support/Surface. Un tel livre est inimaginable pour un petit éditeur, le coût de la photogravure devant être prohibitif. À moins d'en faire un livre d'artiste, tiré à peu d'exemplaires et vendus en galerie. Gérard Fabre qui dirige les éditions Cadex en a fait un livre de poésie, destiné à tous (tiré à 750 exemplaires), au prix d'un affreux thriller de grande maison d'édition. Si ce n'est pas un coup de coeur ça !
Hierry Guichard, in Le Matricule des anges
-
-