Rhinocéros est la pièce la plus riche de Ionesco. Elle ne perd rien de l'esprit d'innovation, de provocation, des premières pièces. Comme elles, celle-ci mélange les genres et les tons, le comique et le tragique. Mais l'innovation principale qui s'introduit ici est la réflexion sur l'Histoire, à travers le mythe. La pièce est une condamnation de toute dictature (en 1958, on pense au stalinisme). Ionesco condamne autant le fascisme que le communisme. C'est donc une pièce engagée : «Je ne capitule pas», s'écrie le héros.
Le rhinocéros incarne le fanatisme qui «défigure les gens, les déshumanise». On sent l'influence de La Métamorphose de Kafka. Dans une petite ville, un rhinocéros fait irruption. Par rapport à lui, les personnages prennent diverses attitudes. Certains se transforment en rhinocéros ; un troupeau défile. Seul Bérenger résiste à la marée des bêtes féroces, symboles du totalitarisme.
«Le tambour:Quand j'ai dîné, il y a des fois que je sens une espèce de démangeaison ici. Ça me chatouille, ou plutôt ça me grattouille.Knock:Attention. Ne confondons pas. Est-ce que ça vous chatouille, ou est-ce que ça vous grattouille?Le tambour:Ça me grattouille. Mais ça me chatouille bien un peu aussi...Knock:Est-ce que ça ne vous grattouille pas davantage quand vous avez mangé de la tête de veau à la vinaigrette?Le tambour:Je n'en mange jamais. Mais il me semble que si j'en mangeais, effectivement, ça me grattouillerait plus.»
Genet nous avertit. Il ne faut pas prendre cette tragédie à la lettre : « C'est un conte, c'est-à-dire une forme de récit allégorique. » « Sacrées ou non, ces Bonnes sont des monstres. Elles ont vieilli, elles ont maigri dans la douceur de Madame. Elles crachent leurs rages. » Les domestiques sont des êtres humiliés dont la psychologie est pertubée. Austères dans leur robe noire et souliers noirs à talons plats, les bonnes ont pour univers la cuisine et son évier ou la chambre en soupente, dans la mansarde, meublée de deux lits de fer et d'une commode en pitchpin, avec le petit autel à la Sainte Vierge et la branche de buis bénit.
Genet a réussi cette pièce, Les Bonnes, peut-être parce qu'il revivait, à l'intérieur de ses personnages, en l'écrivant, sa propre humiliation.
Hamlet, mort à peine depuis deux mois, non, pas autant, pas deux, un si excellent roi, qui était à celui-ci.
Ce qu'hypérion est à un satyre, si tendre pour ma mère qu'il ne permettait pas aux vents du ciel, de toucher trop rudement son visage. ciel et terre, est-ce à moi de m'en souvenir ? oh ! elle se pendait à lui comme si son appétit de lui croissait de s'en repaître. et pourtant en un mois, n'y pensons plus : fragilité, ton nom est femme. un petit mois, les souliers n'étaient même pas usés avec lesquels elle suivait le corps de mon pauvre père, comme niobé, tout en larmes, elle, oui, elle.
O dieu, une bête à qui manque la faculté de raison aurait pleuré plus longtemps ! se mariait à mon oncle, le frère de mon père, mais qui ne ressemble plus à mon père. que moi à hercule.
Pour expliquer le succès du Roi se meurt, on a dit que c'est un classique. Il montre l'homme ramené à sa condition fondamentale. Donc à l'angoisse devant la mort. Cet homme qui parle avec les accents du roi Lear est néanmoins notre contemporain. Il est tellement notre contemporain que son histoire - une existence qui a oublié ses limites - reflète exactement la célèbre «crise de la mort» qui secoue l'Europe de l'après-guerre. Le Roi se meurt n'est pourtant pas une pièce triste. D'abord, parce que l'humour n'y est pas absent. Ensuite, et surtout, parce que Ionesco propose les remèdes pour sortir de la crise. C'est également cela, une grande oeuvre classique:une leçon de dignité devant le destin.
Édition bilingue
Dans cette patrie de l'imaginaire qu'est la Grèce, dont les légendes onttant nourri notre inconscient, Phèdre, épouse de Thésée, est tombée amoureuse d'Hippolyte, son beau-fils. Prise entre sa passion et son devoir, transie d'amour et dévorée de culpabilité, elle erre dans le palais royal, cherchant l'amour d'Hippolyte autant qu'elle le fuit. Pour Freud, se heurter au tabou de l'inceste, c'est se condamner à mort:alors seulement le jour reprend sa pureté. Et Phèdre, la plus trouble des héroïnes de Racine, devra faire face aux conséquences de ses actes.Psychologie, mythe, récit épique, ici tout est violence. Le véritable monstre ne sort pas des flots:il est enfermé dans l'héroïne.
Tout le monde la connaît. Peu peuvent l'expliquer. C'est ce que fait à merveille Emmanuel Jacquart, éditeur du Théâtre de Ionesco dans la Bibliothèque de la Pléiade. Il commence par retracer l'historique, la genèse de la pièce, à partir de L'anglais sans peine de la méthode Assimil. Les répliques se sont naturellement assemblées, et l'ensemble a produit ce que l'auteur appelle une «anti-pièce», une vraie parodie de pièce, sans ambition idéologique particulière.
Dans cet illustre chef-d'oeuvre, l'esprit de dérision prend le contre-pied de la tradition. Une série de sketches désopilants jusqu'au dénouement tonitruant et digne des surréalistes, telle est la pièce dont nous étudions les secrets en la replaçant dans la tradition de l'antitradition, de la modernité en évolution.
Une nouvelle guerre, quand la précédente s'achève à peine, et qu'on a juré qu'elle serait la dernière? Et que la prochaine s'annonce perdue d'avance? Deux heures pour faire défiler le personnel de l'Iliade, plus près de la tragédie que de l'opérette. La tribu royale, assemblage de belle-mère, de belles-soeurs et de beau-père, est bouleversée par l'arrivée d'une bru un peu trop voyante:la belle Hélène remise en scène en femme fatale. La guerre de Troie n'aura pas lieu, créée par Louis Jouvet à la fin de l'année 1935, d'abord brûlante de l'actualité d'avant-guerre, s'est révélée intemporelle. La plus célèbre pièce de Jean Giraudoux a été traduite de pays en pays et reprise de guerre en guerre et de siècle en siècle. La guerre est-elle fatale? Deux heures d'angoisse éclairées par l'humour, politesse du désespoir.
M.
Jourdain voyez l'impertinente, de parler de la sorte à un mamamouchi !
Mme jourdain comment donc ?
M. jourdain oui, il me faut porter du respect maintenant et l'on vient de me faire mamamouchi.
Mme jourdain que voulez-vous dire avec votre mamamouchi ?
M. jourdain mamamouchi, vous dis-je. je suis mamamouchi.
Mme jourdain quelle bête est-ce- la ?
M. jourdain mamamouchi, c'est-à-dire en notre langue paladin mme jourdain baladin ! etes-vous en âge de danser des ballets ?
M.
Jourdain quelle ignorante ! je dis paladin, c'est une dignité dont on vient de me faire la cérémonie.
Dans une propriété à la campagne sont réunis : une actrice sur le retour, Arkadina, qui vit avec Trigorine, écrivain connu. Le fils d'Arkadina, Treplev. Lui aussi est écrivain, à la recherche de formes nouvelles. Enfin Nina, fille d'un riche propriétaire. Treplev est amoureux de Nina, mais elle va être séduite par Trigorine, partir avec lui pour être abandonnée et commencer une médiocre carrière d'actrice. Treplev, qui échoue dans son oeuvre et dans son amour pour Nina, se suicide.
GAEV, ouvrant une autre fenêtre.
Le jardin est tout blanc. Tu n'as pas encore oublié, Liouba? Cette longue allée s'en va tout droit, comme une courroie tendue, elle brille par les nuits de lune. Tu t'en souviens? Tu n'as pas oublié?
LIOUBOV ANDRÉEVNA, regarde le jardin par la fenêtre.
Oh, mon enfance, ma pureté! Je dormais dans cette chambre d'enfants, d'ici je voyais le jardin, le bonheur se réveillait avec moi tous les matins, et le jardin était comme il est là, rien n'a changé... Si je pouvais enlever ce poids de ma poitrine, de mes épaules, si je pouvais oublier mon passé!
GAEV.
Oui, le jardin sera vendu pour dettes, aussi étrange que cela puisse paraître.
La leçon est l'une des pièces les plus jouées et les plus lues d'Eugène Ionesco. Elle commence comme une satire hilarante de l'enseignement, pour faire allusion ensuite à de savantes théories linguistiques ; le ton, alors, change : la farce se termine en tragédie lorsque le professeur tue son élève. Mais cette tragédie est, elle aussi, parodique : chacun lui donne le sens qu'il veut.
Araminte est une jeune veuve sereine, naturelle et sans préjugés.
Comment, riche à millions, peut-elle, dans le courant de l'après-midi, se décider à épouser le jeune homme pauvre qu'elle avait engagé le matin comme intendant ? en montant contre son héroïne un complot impitoyable, marivaux lui permet de vivre une véritable histoire d'amour où elle se libère de son entourage en exerçant son droit au bonheur. il y associe étroitement l'émotion, le comique et le critique sociale, la lucidité et le rêve.
Proches de molière et de la comedia du siècle d'or espagnol, les fausses confidences, sa dernière " grande pièce ", représente aussi et surtout la somme et le dépassement de ses divers systèmes dramatiques.
Tandis que les orages d'été se succèdent au-dessus d'une petite ville de Russie dominant la Volga, Katerina, déçue par son mariage, s'éprend de Boris, tandis que son époux est en voyage. Hantée par la conscience du péché et la peur de l'enfer, il lui faut affronter, dans cette ville où règnent conservatisme et bien-pensance, le poids de sa duplicité et la cruauté de son entourage. Le ciel se fait de plus en plus menaçant, l'orage gronde, comme si une colère divine allait s'abattre sur elle...Écrit et joué en 1859, ce drame, «rayon de lumière dans le royaume des ténèbres» selon certains critiques de l'époque, est l'une des pièces, qui ont fait de son auteur le plus éminent représentant, en Russie, du théâtre de moeurs, et qui inspira à Janacek, en 1921, son célèbre opéra, Katia Kabanova.
Tout s'est éteint, flambeaux et musique de fête.
Rien que la nuit et nous ! félicité parfaite !
Dis, ne le crois-tu pas ? sur nous, tout en dormant, la nature à demi veille amoureusement.
La lune est seule aux cieux, qui comme nous repose, et respire avec nous l'air embaumé de rose !
Regarde : plus de feux, plus de bruit.
Tout se tait.
La lune tout à l'heure à l'horizon montait, tandis que tu parlais, sa lumière qui tremble et ta voix, toutes deux m'allaient au coeur ensemble ;
Je me sentais joyeuse et calme, ô mon amant !
Et j'aurais bien voulu mourir en ce moment.
(acte v, scène 3)
Deux jeunes seigneurs comptent épouser la fille et la nièce du bourgeois Gorgibus. Mais ces dernières, Cathos et Magdelon, les traitent avec mépris, leur reprochant de ne connaître ni la galanterie romanesque ni même La Carte de Tendre. Les jeunes hommes décident alors de donner une bonne leçon à ces précieuses, en leur envoyant leurs domestiques déguisés, l'un en baron, l'autre en vicomte. Puisque ces deux jeunes filles se targuent de connaître les usages courtois sur le bout des doigts, sûrement n'auront-elles aucun mal à différencier un véritable gentilhomme d'un valet travesti...
Insensés que nous sommes ! Nous nous aimons. Quel songe avons-nous fait, Camille ? Quelles vaines paroles, quelles misérables folies ont passé comme un vent funeste entre nous deux ? Lequel de nous a voulu tromper l'autre ? Hélas ! cette vie est elle-même un si pénible rêve ; pourquoi encore y mêler les nôtres ? Ô mon Dieu, le bonheur est une perle si rare dans cet océan d'ici-bas ! Tu nous l'avais donné, pêcheur céleste, tu l'avais tiré pour nous des profondeurs de l'abîme, cet inestimable joyau ; et nous, comme des enfants gâtés que nous sommes, nous en avons fait un jouet.
Pour n'avoir pas voulu respecter l'antique usage, qui veut qu'une cérémonie accompagne, et apaise, quiconque meurt, Créon, roi de Thèbes et successeur d'Oedipe, a lui-même semé la mort.
Pour avoir accablé d'invectives brutales ceux qui avaient osé résister à son caprice, il a entraîné le décès de son fils et de la fiancée de celui-ci. Renforcée par son pouvoir, son agressivité a eu raison de celles de ses adversaires. Or ces jeunes adversaires, Antigone, fille d'Oedipe, Hémon, fils de Créon, respectaient, eux, les lois qui sont aussi celles de la cité ; il n'est pas de cité qui ne prescrive d'ensevelir les morts et d'avoir des égards pour son père.
Antigone, Hémon, ont observé cette loi. Confrontés à l'arbitraire du tyran à la fois têtu et versatile, ils ont détourné sur eux-mêmes l'agressivité de ce dernier. Telle est la tragédie de Sophocle, l'une des plus célèbres de l'histoire du théâtre. Notre édition, la première de Sophocle dans Folio Théâtre, reprend la traduction de Jean Grosjean dans la Pléiade, remarquable de puissance poétique, ainsi que les notes de cette édition.
La préface, brillante, paradoxale, est due à Jean-Louis Backès, professeur émérite à la Sorbonne.
Saint-Tropez l'hiver. Dans la mélancolie d'une villa inhabitée, Suzanna Andler hésite entre son mari et son amant. Transcendant les codes du théâtre de Boulevard, Marguerite Duras offre le portrait bouleversant d'une femme en quête d'une impossible émancipation. « C'est une femme cachée, cachée derrière sa classe, cachée derrière sa fortune, derrière tout le convenu des sentiments et des idées reçues... Elle ne pense rien, Suzanna Andler. Mais j'ai essayé de la lâcher, de lui redonner une liberté. » Marguerite Duras Avec quatre photographies en couleurs du film Suzanna Andler de Benoit Jacquot.
Dans cette pièce composée vers 1594, Shakespeare s'empare du court règne (juin 1483-août 1485) du dernier roi de la dynastie des Plantagenêt. Richard III vient clore une lignée qui eut à subir - ou à faire jouer à son profit - cette «violence / Frénétique et contre-nature» que fut la guerre des Deux-Roses entre les York et les Lancastre, jetant «frère contre frère, / Sang contre sang, soi contre soi».Richard, duc de Gloucester, est né laid et boiteux. Il se veut roi d'Angleterre, même si plusieurs degrés dans l'ordre de succession le séparent de la couronne et s'il lui faut pour cela assassiner ou réduire à l'impuissance tous les prétendants au trône:«Je suis déterminé à être un scélérat.».Usant de la ruse ou de la force, multipliant les masques et les mises en scène, Richard, sculpte peu à peu son chef-d'oeuvre:lui-même, ce personnage tout-puissant, enfin vengé de sa difformité.
Trois personnages se retrouvent en Enfer, en l'occurrence dans un salon Second Empire. Ils évoquent les circonstances de leur mort et avouent, bon gré mal gré, les crimes qui leur ont valu d'être damnés.
Garcin, un publiciste qui trompait scandaleusement sa femme, a été fusillé pour avoir déserté. Estelle, une jeune bourgeoise coupable d'avoir noyé son enfant, a succombé à une pneumonie. Inès, une employée des postes qui avait abandonné son mari, a été victime de sa compagne, qui l'a entraînée dans son suicide ; elle seule assume sans mauvais foi sa conduite passée. Tous trois se mettent à la torture à force de questions et souffrent de leurs désirs inassouvis : Inès poursuit Estelle de ses assiduités, Estelle tente d'aguicher Garcin, dont l'unique souci est de se réhabiliter aux yeux d'Inès. Quand, soudain, la porte du salon s'ouvre, aucun des trois ne cherche à s'échapper, comme s'ils choisissaient définitivement de ne pas être libres. Le mot de la fin reviendra à Garcin : « L'Enfer, c'est les Autres. » Les damnés n'auront pas d'autre solution que de « continuer ».
Dans Folioplus classiques, le texte intégral, enrichi d'une lecture d'image, écho pictural de l'oeuvre, est suivi de sa mise en perspective organisée en six points :
- Mouvement littéraire : Camus et l'absurde.
- Genre et registre : Sous le signe du théâtre.
- L'écrivain à sa table de travail : Écrire et récrire.
- Groupement de textes : Théâtre et complots.
- Chronologie : Albert Camus et son temps.
- Éléments pour une fiche de lecture.
Recommandé pour les classes de lycée.
Dans la Grèce antique, Électre et Oreste tuaient leur mère Clytemnestre et son amant Égisthe pour venger leur père Agamemnon, roi d'Argos, que ce couple adultère avait assassiné. Ici, le roi est mort, croit-on, par accident. Électre va épouser un jardinier. Surviennent trois fillettes, les Euménides, qui grandissent à vue d'oeil, un mystérieux mendiant qui divague, et un étranger qui prend soudain la place du fiancé. Alors, seulement, Électre se met en chasse, cherche d'où vient la haine qui l'étouffe. Elle déterre des crimes oubliés, préférant la vérité à la paix : «À chaque époque surgissent des êtres purs qui ne veulent pas que [l]es grands crimes soient résorbés [...], quitte à user de moyens qui provoquent d'autres crimes et de nouveaux désastres. Électre est de ces êtres-là », disait d'elle Jean Giraudoux.
Mise en scène par Louis Jouvet en 1937, sur fond de crise économique et politique en France, de guerre civile en Espagne et de montée des périls en Europe, cette «pièce policière» qui mêle l'humour au drame, inspirée tout autant par Euripide ou Sophocle que par Agatha Christie, est une grande tragédie politique moderne.