Mort à peine depuis deux mois, non, pas autant, pas deux, Un si execellent roi, qui était à celui-ci Ce qu'Hypérion est à un satyre, si tendre pour ma mère Qu'il ne permettrait pas aux vents du ciel De toucher trop rudement son visage. Ciel et terre, Est-ce à moi de m'en souvenir ? Oh ! elle se pendait à lui Comme si son appétit de lui croissait De s'en repaître, et pourtant en un mois, N'y pensons plus : fragilité, ton nom est femme.
Un petit mois, les souliers n'étaient pas même usés Avec lesquels elle suivait le corps de mon pauvre père, Comme Niobé, tout en larmes, elle, oui, elle - Ô Dieu, une bête à qui manque la faculté de raison Aurait pleuré plus longtemps ! - se mariait à mon oncle, Le frère de mon père, mais qui ne ressemble pas plus à mon père Que moi à Hercule...
(Acte I, scène 2).
Agrippine.
Que m'importe, après tout, que néron plus fidèle d'une longue vertu laisse un jour le modèle ?
Ai-je mis dans sa main le timon de l'etat, pour le conduire au gré du peuple et du sénat ?
Ah ! que de la patrie il soit, s'il veut, le père.
Mais qu'il songe un peu plus qu'agrippine est sa mère.
De quel nom cependant pouvons-nous appeler l'attentat que le jour vient de nous révéler ?
Il sait, car leur amour ne peut être ignoré, que de britannicus junie est adorée :
Et ce même néron que la vertu conduit, fait enlever junie au milieu de la nuit.
Que veut-il ? est-ce haine, est-ce amour qui l'inspire ?
Cherche-t-il seulement le plaisir de leur nuire ?
Ou plutôt n'est-ce point que sa malignité punit sur eux l'appui que je leur ai prêté ?
(acte i, scène i).
Qui sont les précieuses ridicules ? Deux jeunes prétentieuses qui, fraîchement débarquées de province, ne trouvent rien ni personne assez distingué pour elles. Leur histoire, très drôle, est celle de la vanité punie. A travers elles, Molière fait la satire de la préciosité, un courant mondain fondé sur la galanterie, le raffinement des manières et la recherche du beau langage.
Le censeur de Sa Majesté Nicolas Ier, à qui fut présenté Le Revizor, conclut à une farce amusante, et l'autorisation de publier fut accordée. Le sens profond de cette oeuvre ne fut compris que beaucoup plus tard.
D'ailleurs, lorsque Le Revizor fut créé au théâtre, le 19 avril 1836, il ne s'imposa pas d'emblée. Personne ne savait ce qu'il fallait penser de la pièce. Farce plaisante ou calomnie ? On se méfiait. Gogol souffrit longtemps de cette suspicion du public. C'est en 1839 seulement, à Moscou, que Le Revizor fut accueilli triomphalement.
Les personnages de Gogol sont pour la plupart des gens simples, paisibles, qui dépouillent autrui ou qui se font dépouiller avec le plus parfait naturel. Ils sont les produits inévitables de la société de ce temps, où la pourriture n'a plus rien d'exceptionnel.
Le prince de Hombourg remporte la victoire à la tête de son armée, mais en désobéissant aux ordres du Souverain. Emprisonné, il doit passer en jugement. Sa fiancée tente de le sauver. Le souverain lui laisse le choix, qu'il dise lui-même si sa condamnation était injuste. Le prince est sauvé de ce dilemme par une nouvelle invasion et un nouvel appel aux armes.
Fantasio, «bourgeois de Munich» vaguement bohème, est menacé de la prison pour dettes. Dans le même temps la princesse Elsbeth, fille du roi de Bavière, est fiancée au prince de Mantoue, un imbécile couronné. Pour échapper à ses créanciers et aussi par désoeuvrement, Fantasio, sur un coup de tête, décide de prendre la place du bouffon du roi qui vient de mourir. Plutôt qu'une comédie, Fantasio est une féerie, irréelle de légèreté et d'élégance, où se conjuguent les influences d'Hoffmann et de Shakespeare, de Marivaux et des Mille et Une Nuits. C'est en même temps une réflexion exemplaire sur le théâtre, qui renvoie dos à dos la tragédie classique, inadaptée aux temps bourgeois, et le drame romantique, déclamatoire et boursouflé, pour suggérer une troisième voie, celle d'un théâtre magique, ironique et tendre, à la croisée de la comédie de caractères et du conte merveilleux.
«Quoi? même en disant vrai vous mentiez en effet?» Le héros, Dorante, par la seule puissance de sa parole, organise le monde à sa guise. En remplaçant le monde de la réalité par celui de la feinte, Corneille donne à voir le théâtre même. Dorante ment pour devenir un jeune noble parisien, pour se créer un personnage et des exploits, ceux du héros galant. Il ment en tout sincérité:pour paraître.Dans la Suite, de nouvelles aventures ont entraîné le héros, où il manie vraiment l'épée:il est devenu celui qu'il voulait être. Or, on ne le croit pas:«On me prend pour un autre», dit-il, pour un assassin.Un univers de roman sur la scène, le mensonge comme fiction, le baroque de l'apparence, l'illusion comique, voilà ce qui fait la richesse de ces deux pièces (la seconde, tout à fait méconnue), et du théâtre en général. C'est le «chant du cygne comique de Corneille».
Quarante ans après les comédies de molière, d'un dessin si profondément, si subtilement moral, lesage nous offre une pièce franche, joyeuse et tout à fait cynique, où l'on devine déjà la régence.
C'est un tableau grinçant de la société pendant les dernières années de l'immense règne de louis xiv. on y découvre un monde interlope, où se côtoient chevaliers d'industrie, fripons, prostituées et fils de famille tarés. la déroute de toutes les valeurs religieuses et morales laisse sa place à l'argent triomphant qui a rompu les ordres de la société bourgeois, nobles, domestiques se côtoient et se mélangent.
Et nous rions sans mélange ou scrupule, aujourd'hui encore, des escroqueries et des méchantes manigances de ces hommes, de ces marionnettes plutôt, où nous pourrons reconnaître quelques-uns de nos contemporains célèbres.
Un père et une mère se déchirent sous l'oeil ironique de leur enfant, dont la seule présence les empêche d'admirer librement l'oeuvre qu'ils contemplent : impossible de dire «c'est beau» face au regard hostile du fils, qui paralyse ses parents. Effet de mai 68, bandes dessinées contre musées ? Refus de l'autorité ? La culpabilité parentale prend ici des proportions énormes.
La pièce met ainsi en scène une perpétuelle quête de l'auteur : l'objet, l'enfant, le conjoint, quête qui n'aboutit jamais. On est puni à vouloir trouver ce que cachent les mots les plus simples.
Cette oeuvre comique se moque donc du jugement esthétique émis par trois personnages. Mais la farce sur le langage cache le drame de l'incommunicable, du dialogue comme lutte, du langage comme trahison.
Isma, c'est quoi ? Un prénom de femme ? Isma, Irma, Emma, Alma. petits noms à susurrer délicatement. Isma, une héroïne féminine dont le destin nous serait conté le temps d'une comédie ? Rien de plus insinuant qu'Isma, cependant ; rien de moins doux, de moins plaisant. Isma, c'est le petit bruit de bouche que font les Dubuit lorsqu'ils prononcent avec délectation les mots en -isme.
Une fois de plus, Nathalie Sarraute nous donne ici une comédie des tropismes, ces mouvements involontaires, inconscients, en tout cas non dits, qui tissent ce qu'il y a d'impalpable dans les rapports humains. La manière de prononcer les mots suffit à opposer deux groupes humains. Dans un prodige de drôlerie inquiétante, l'auteur, qui semble ne traiter que de détails, nous livre sa vision de l'homme et de la société.
Écrite en 1934, mais montée seulement en 1938 après le succès du Voyageur sans bagage et publiée la même année dans Les oeuvres libres avant de figurer dans le recueil des Pièces noires, La Sauvage, aux yeux de la critique, confirmait le talent du jeune Anouilh. Souillée dès son plus jeune âge, Thérèse, la jeune violoniste d'un minable orchestre de province, ne parvient pas à accepter l'amour, l'argent et la famille du brillant pianiste Florent. Solitude, honte, poids du passé, solidarité de la misère et de la déchéance, impossible pureté, mythe du bonheur, achèvent de mettre en place les éléments récurrents d'un univers dramatique original. En soeurs cadettes de Thérèse, Antigone et Jeanne (L'Alouette) obéiront à la même exigence en refusant toute compromission.
Clarisse, très doucement.
Mon ami, parlez-moi du Mexique. Parlez-moi des pyramides écroulées. Nous les relèverons ensemble. Parlez-moi de ce qui vous intéresse. Ce dieu Quoat-Quoat?.
Amédée Le dieu Quoat-Quoat. Vous ne pouvez pas savoir, vous ne pourriez pas savoir, Clarisse, ce que cela peut entraîner pour moi de tremblements intérieurs, que je sois sur le point de voir et de toucher ce qui fut l'objet de tous mes instants, le principe de tous mes désirs, le dieu Quoat-Quoat, là-bas, dans son temple perdu, en dehors de l'Histoire, à l'écart de la politique comme un sommeil immobile oublié dans un lieu sauvage. Et maintenant, petite Clarisse, je vais la voir, cette tête couchée, cette pierre rouillée, dans un pays que les deux antiquités classiques ont rigoureusement ignoré.
(Tableau premier)
Les amours de Lucidor et d'Angélique sont compliquées de stratagèmes, de pièges, d'hésitations. Chacun travaille à rendre l'autre jaloux, pour voir s'il est aimé. C'est une comédie où l'on pleure avant de sourire.On ne sait où l'auteur a pris l'idée de ses combinaisons incompréhensibles, extravagantes et cruelles. De combien de personnes faut-il faire le malheur, pour s'assurer de la fidélité, de la sincérité de celle qu'on aime? Marivaux, ici, est, comme Musset plus tard, un petit marquis de Sade:la psychologie blesse plus que le fouet. Et, dans cette pièce, la brièveté renforce la méchanceté.
Le Livre de Christophe Colomb est l'une des oeuvres les plus originales inspirées par les voyages et la vie de ce personnage historique. Associant la musique et les choeurs, le théâtre et le cinéma, l'ouvrage est une pièce expérimentale, où il est fait appel à toutes les ressources de la scène et à tous les tons du drame, du pathétique au familier, du réalisme à l'onirisme, du lyrisme à la mystique.Retraçant, par un procédé hardi de récit en forme de «flash-back» et de procès, les principaux moments de la vocation et de l'aventure de Christophe Colomb, le drame est chargé d'un profond symbolisme, où la découverte de l'Amérique est présentée comme une volonté d'évangélisation du monde, un pas vers la «réunion de la terre» et un élan vers l'au-delà.
Dans cette tragédie (1922), Pirandello raconte l'histoire d'un jeune homme qui, à la suite d'une chute de cheval, se prend pour l'empereur d'Allemagne, Henri IV. Son entourage l'entretient dans sa folie. Recouvrant la raison, il découvre que son grand amour l'a trompé, que l'accident a été provoqué, et feint de nouveau la démence. À la suite d'événements dramatiques (il tue l'auteur de son accident), il rentre définitivement dans sa folie.Pirandello met toujours en scène des fragments de théâtre, qui sont indistinctement des morceaux de vie. Il dévoile tantôt la comédie que chacun se joue à soi-même ou celle où les autres nous emprisonnent ; et tantôt il déroule les jeux et les secrets de la représentation, partagés entre l'être et le paraître, le masque et le visage, l'écriture et la vie.
Les Possédés sont une des quatre ou cinq oeuvres que je mets au-dessus de toutes les autres. A plus d'un titre, je peux dire que je m'en suis nourri et que je m'y suis formé. Il y a près de vingt ans en tout cas que je vois ses personnages sur la scène. Ils n'ont pas seulement la stature des personnages dramatiques, ils en ont la conduite, les explosions, l'allure rapide et déconcertante. Dostoïevski, du reste, a, dans ses romans, une technique de théâtre : il procède par dialogues, avec quelques indications de lieux et de mouvements. L'homme de théâtre, qu'il soit acteur, metteur en scène ou auteur, trouve toujours auprès de lui tous les renseignements dont il a besoin. Aujourd'hui, voici Les Possédés sur la scène. Pour les y porter, il a fallu plusieurs années de travail et d'observation. Et pourtant, je sais, je mesure tout ce qui sépare la pièce de ce prodigieux roman ! J'ai simplement tenté de suivre le mouvement profond du livre et d'aller comme lui de la comédie satirique au drame, puis à la tragédie.