Cet ouvrage propose une anthropologie politique du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Agence onusienne ayant pour mission de veiller sur la prise en charge des réfugiés, le HCR est présent dans plus de 130 pays et s'occupe de quelques 80 millions de personnes. En emmenant le lecteur à travers les bureaux chargés du dossier afghan, au cours des années 2000, à Genève comme à Kaboul, le livre donne à voir le fonctionnement interne de cette organisation internationale : comment se déploie-t-elle à travers le monde ? Qui sont ses agents ? Comment le HCR exerce-t-il son pouvoir ?
En décrivant comment pense et travaille le HCR, ce livre montre que la vision du monde nationale et étato-centrée de l'organisation l'amène en pratique à participer à des mécanismes de sédentarisation et d'illégalisation des personnes déplacées. Il met ainsi en lumière une impasse majeure de l'action contemporaine du HCR : l'agence s'efforce d'établir un type d'ordre - sédentaire et centré sur l'État-nation - qui est en fait à l'origine du « problème » qu'elle a pour mission de résoudre.
En étudiant la prise en charge d'une population de réfugiés emblématique à partir d'un positionnement original, à la fois fonctionnaire de l'agence et anthropologue, l'auteure mène un travail fin et ambitieux, qui articule plusieurs niveaux d'analyse : la micropolitique des pratiques tout autant que l'institution et les rapports de pouvoir multi-scalaires qui façonnent son environnement.
De nombreux bouleversements vécus ces dernières décennies par les sociétés du pourtour méditerranéen ont été ponctués par des mobilisations identifiées ou associées à des places, à des lieux devenus emblématiques des crises et des aspirations de ruptures politiques et sociales. Les manifestations en Égypte et dans d'autres villes arabes en constituent de spectaculaires illustrations. Les lieux apparaissent dans de telles conjonctures, dotés d'une forte charge symbolique alors que leur accès devient un enjeu parfois déterminant pour la suite des événements. Cette mise en visibilité politique fait encore mieux ressortir que les espaces adviennent par l'appropriation qui en est faite par celles et ceux qui les pratiquent d'une manière ou d'une autre. Les usages dans cette perspective gagnent à être questionnés en considérant aussi bien les dynamiques urbaines dans leur contexte historique, que les personnes ou les groupes selon leur ancrage social. Les rapports de genre à cet égard sont de puissants analyseurs et on le voit bien ces dernières années où les revendications portent autant sur le dépassement de régimes autoritaires que sur l'égale considération des femmes et des hommes pour instaurer des systèmes politiques reposant sur une symétrie de statut. C'est cette combinaison espace et genre qui est traitée dans cet ouvrage par de multiples approches. L'histoire et la géographie, l'architecture, la sociologie de la ville ou celle de la migration, mais aussi la littérature, sont mobilisées par des auteurs de ces différentes disciplines pour mettre en question le genre en tant qu'analyseur des profonds changements des sociétés contemporaines.
Est-il possible que le Christ soit nostalgique de son séjour terrestre malgré sa « fin » tragique ? Cette hypothèse d'un poème de Jorge Luis Borges aurait probablement plu à Jean-Marc Ela dont le parcours sacrificiel s'est achevé en 2008 dans la douleur de l'exil et le silence grisâtre de l'hiver canadien. Théologien insoumis, sociologue incandescent et penseur transversal, Ela a mené une vie ascétique dans l'allégresse du don de soi. Il n'avait jamais cessé d'aimer son Afrique à laquelle il avait si mal.
En formulant une demande radicale d'humanité pour l'Afrique des villages, des bidonvilles et des exclus, Ela a esquissé et mis en pratique une éthique de la transgression et une esthétique de la compassion. Il en a payé le prix, dignement. Oui, la dissidence intellectuelle se paie cash, surtout dans les lieux où les pouvoirs religieux et politiques imposent des spiritualités dogmatiques. Ni l'inflation des douleurs, ni les persécutions sournoises, ni la violence muette n'ont cependant empêché cet esprit indocile d'enfreindre les vérités rigides du religieux, de l'économique, du politique et du social.
Ela a accédé à «l'immortalité cosmique» -celle que seule confèrent l'oeuvre qui reste, les actes posés, les manières d'être et les souvenirs incrustés dans le subconscient collectif. Son travail prophétique interroge la vaste accumulation du passé, décloisonne les savoirs et trace les horizons avec une espérance poignante. Comme la forêt innombrable du sud-Cameroun dont les nuances ne peuvent être répertoriées, son oeuvre énonce un nombre infini de sens. Cet ouvrage n'ambitionne donc pas d'en offrir une exégèse. L'objet ici est plus circonscrit : éclairer le parcours de l'homme, ouvrir quelques fenêtres sur sa parole et la porter au-delà des amphithéâtres et des conclaves théologiques.
Ont contribué à cet ouvrage :
Nada Ben Amor, Islam Amine Derradji, Éric Gobe, Caroline Guibet Lafaye, Mohand Akli Hadibi, Ratiba Hadj-Moussa, Imed Melliti, Zakaria Rhani et Marouen Taleb.
Le catholicisme connaît une mutation de grande ampleur. Pourtant, ses transformations récentes telles qu'elles se manifestent sur le terrain, dans les paroisses et dans de nouveaux regroupements, ainsi que dans la cité font l'objet de rares études alors qu'une approche ethnographique paraît particulièrement pertinente pour répondre aux questions qu'elles posent. Comment le catholicisme est-il « travaillé » non seulement par le clergé et l'institution mais aussi et surtout par les croyants eux-mêmes ? Comment se manifestent les dynamiques globales de transnationalisation religieuse, d'individualisation des comportements et de mobilité des appartenances ? Quelles sont les pratiques de ceux qui se définissent comme catholiques aujourd'hui ?
Cet ouvrage prend comme terrains d'étude la France, le Québec et la Belgique, trois pays francophones d'histoire imprégnée du catholicisme, mais dans un contexte de sécularisation avancée.
Veillant à expliciter sa démarche, Ethnographies du catholicisme apporte également des éléments de réflexion méthodologique permettant d'appréhender ce qui se passe au plus près du religieux en train de se faire. Évitant les analyses « par la haut », il est proposé les résultats d'études inédites menées sur des sujets aussi variés que : les JMJ, la pop-louange, les pèlerinages, les ermites, la conversion, les parcours missionnaires, la paroisse, etc.
Au final, ce panel d'observations apporte de précieux éléments d'analyse et de compréhension du catholicisme contemporain qui sauront captiver tout lecteur, qu'il soit spécialiste, étudiant ou juste curieux.
Le sentiment d'appartenance à l'Afrique a largement été envisagé à partir d'expériences afro-diasporiques, en particulier américaines. On sait moins la manière dont cette question est devenue centrale sur le continent dans le contexte des décolonisations de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux premières années des indépendances. Des figures du panafricanisme comme Kwame Nkrumah ont fait de la construction d'une identité africaine l'un des enjeux clés de l'émancipation du continent. Durant cette période, l'idée d'unité africaine devait néanmoins composer avec le nationalisme consolidé dans les nouveaux États.
Comment s'articulaient ces sentiments et ces revendications multiples ? Comment les nouvelles entités nationales se sont-elles constituées à la croisée des enjeux locaux et globaux ? Quels effets les discours et les pratiques visant à définir l'« Afrique » ont-ils eus dans ces processus ?
Ce livre revient sur la pluralité des acteurs et actrices africains, des partis politiques, des associations d'étudiants et des syndicats qui ont cherché à façonner l'idée d'Afrique tout en la mettant en pratique sur le continent, au travers de réseaux et de collaborations nouvelles. Il retrace des itinéraires militants marqués par l'imbrication des dynamiques locales et de la Guerre froide, et d'ambitions nationales et panafricaines.
En proposant une analyse « connectée » du Sénégal, de la Haute-Volta (Burkina Faso) et du Ghana - des territoires appartenant aux empires français et britannique -, ce livre pose les jalons d'une histoire du panafricanisme attentive à des jeux d'acteurs et des dynamiques politiques transcendant les frontières impériales, mais se confrontant aux nouvelles frontières nationales.
En dépassant le clivage établi entre nature et culture ainsi que les oppositions hiérarchiques entre rituels "barbares d'un autre âge" et actes médicaux ou chirurgicaux "civilisés et progressistes", ce livre a l'audace de mettre en perspective de façon inédite des formes de chirurgie sexuelles diverses comme celle de l'implant cochléaire pour les sourds, dans une approche comparée qui unit anthropologie, psychanalyse, études de genre et études visuelles.
Cette perspective comparatiste permet de dépasser le grand partage ethnocentrique entre " nous " et " les autres " afin de poser la question plus générale de l'aliénation du corps féminin, aliénation à laquelle de nombreux actes médicaux ressortant de la chirurgie esthétique ou réparatrice participent.
Comme le montre cet ouvrage, le corps n'est pas seulement marqueur d'une identité, notamment sexuée, mais possède un pouvoir transformateur dont l'expression de "transformation corporelle" rend compte. Dans la mesure où le corps agit sur l'identité, le concept de " corps-identité " signale le rôle fondamental que joue l'ordre du corporel. Si les rituels modifient le statut de la personne, il en est de même des chirurgies, attestant que le corps/identité est fondamentalement en devenir et non donné une fois pour toutes, le vieillissement, processus inéluctable, étant à cet égard paradigmatique des transformations corporelles. L'acte chirurgical, non dénué de souffrance, porte en soi l'avènement d'un renouveau, le geste même de couper qu'implique toute chirurgie renvoie fantasmatiquement à la perspective de rompre avec le cours de son existence afin de devenir " ce qu'on croit avoir toujours été et qu'on a toujours voulu être ". L'individu cherchant par la chirurgie à renaître et à se voir restituer son corps originel, on peut parler de " mélancolie du corps ", concept qui fait écho et subsume celui de " mélancolie du genre " employé par Judith Butler.
Depuis quelques décennies historiens, archéologues, et anthropologues mettent au jour l'existence de brillantes civilisations sur l'ensemble de l'Afrique subsaharienne. Si l'histoire de ce continent, berceau de l'humanité, a longtemps été sous estimée voire niée, il est temps d'en reconnaître aujourd'hui toutes les richesses. Dans cet ouvrage, l'auteur présente la spécificité de la partie occidentale, bornée par l'Atlantique. Face à cet océan hostile, seuls les plus hardis ont osé s'aventurer sur de frêles pirogues monoxyles, limitant toute vocation maritime à cet occident africain.
C'est donc le long des fleuves que se sont constitués, entre autres, les puissants empires du Niger et du Congo suzerains de royaumes vassaux dont l'histoire intérieure comme celle de la géopolitique suit une logique d'adaptation aux milieux naturels de la savane ou de la forêt dense. Les hommes y ont répondu en développant des systèmes agricoles et artisanaux qui permettaient des échanges interrégionaux prolongés jusqu'en Méditerranée grâce aux caravanes transsahariennes. Cet ensemble économique très élaboré était sous tendu par une organisation politique et sociale qui reposait sur des monarchies secondées par des administrations et des aristocraties tout à fait comparables aux systèmes européens. Devant la puissance de la nature, les religions et les philosophies développèrent des systèmes d'explication sous formes de mythes qui font toute la richesse d'une littérature orale que se sont transmis les griots.
Le but de cet ouvrage situé au croisement de trois historiographies (celle de la santé, celle des organisations internationales et celle du développement) est de faire la lumière sur le rôle essentiel joué par l'OMS dans la situation sanitaire des pays de la sous-région méso africaine entre 1956 et 2000, en étudiant les politiques d'hygiène, de formation des personnels de santé et l'organisation des campagnes d'éradication des maladies. L'auteur s'interroge ainsi sur les effets potentiellement déstructurants de ces politiques pour les pays d'Afrique centrale, tant d'un point de vue politique (affaiblissement des États et dépendance accrue aux politiques sanitaires globales) et économique (déstructuration des tissus économiques liés aux secteurs pharmaceutiques nationaux) que socio-culturel (abandon des processus locaux de médication et de médicalisation). L'ouvrage traite de ce fait, d'un véritable point aveugle de notre compréhension de la santé publique internationale en Afrique, et de ce qui est désormais connu sous le nom de?« santé mondiale » (Global Health). Il retrace l'histoire de l'OMS en Afrique et en particulier, celle de la création de bureau africain de l'OMS à Brazzaville (AFRO), en montrant comment cette trajectoire institutionnelle croise l'histoire politique de la (dé)colonisation, l'histoire de la santé publique et de l'humanitaire, etc. Ce livre est une référence indispensable pour réfléchir aux politiques de santé en Afrique dans leur contexte historique et politique.
Pourquoi les projets de développement, les interventions des ONG ou les politiques publiques nationales sont-ils tous soumis à d'importants écarts entre ce qui était prévu et ce qui se passe effectivement ? Cet ouvrage apporte une réponse documentée à ce " problème des écarts ". Les politiques publiques standardisées, telles les politiques de développement omniprésentes en Afrique, méconnaissent les contextes dans lesquels elles sont mises en oeuvre.
Dans cette confrontation, les acteurs locaux jouent un rôle majeur. Les multiples stratégies de contournement des directives et protocoles officiels suivent des " normes pratiques " implicites ignorées des experts internationaux, mais que l'observation du terrain peut mettre en évidence. C'est un phénomène qui va au-delà du développement : tout se passe comme si l'Afrique révélait de façon paroxystique une revanche des contextes dont on peut trouver des exemples dans le monde entier.
Pour analyser ces processus, un dialogue est noué entre d'une part des données de terrain particulièrement riches, et d'autre part une vaste littérature en sciences sociales revisitée afin de mieux rendre compte des réalités observées. Le diagnostic est structuré autour de quelques concepts clés : modèles voyageurs, normes pratiques, modes de gouvernance et logiques sociales. Tout entier consacré à une démarche analytique rigoureuse, sans complaisance et sans polémique, il se termine néanmoins par une prise de risque face à la redoutable question " que faire ? ", en suggérant de mettre les normes pratiques au centre de toute intervention et de valoriser les " experts contextuels " aujourd'hui invisibles.
Ce livre constitue une contribution majeure à l'analyse des effets inattendus des politiques publiques.
Les pays arabes ont récemment connu une série de ruptures politiques et d'évolutions sociales qui ont été l'objet de nombreuses analyses, et pourtant l'impact de ces changements sur les rapports de genre a peu été traité. Les dites « révolutions » ou « printemps arabe » en 2010- 2011, gagnent à être considérés comme des « révoltes » dans la mesure où elles n'ont pas abouti à des évolutions sociales majeures. Ce constat est particulièrement vrai dans le domaine des droits des femmes, et ce malgré une forte mobilisation de ces dernières, qui sera souvent suivie de violence. Ainsi, de symbole d'émancipation, la place Tahrîr est devenue le symbole de la violence de genre existant en Égypte.
C'est ce dont rend compte cet ouvrage qui explore plus généralement la place que les femmes occupent en contexte arabo-musulman, dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient, ainsi qu'en contexte migratoire. L'approche ici développée est celle des sciences sociales, faisant essentiellement appel à l'anthropologie, à la sociologie, et au droit. Plusieurs axes liés au genre sont privilégiés : la mobilité et la spatialité, les luttes et les mobilisations féminines, les violences contre les femmes ainsi que leurs droits, la virginité et la sexualité, les nouvelles techniques liées à la procréation. Cet ouvrage questionne les changements sociaux au prisme du genre dans ces différents domaines.
Si l'exclusion des indigènes de la participation politique dans le monde colonial est aujourd'hui largement connue et expliquée, nous en savons par contre bien moins sur l'accession des populations issues du peuplement des colonies au statut de citoyens, et dans quels contextes et conditions, ils ont su développer un sentiment d'appartenance à l'État-nation, fût-il colonial. C'est cet angle-mort de la connaissance sur l'époque coloniale que cet ouvrage prétend éclairer.
Comprendre, à partir des deux cas exemplaires de colonies de peuplement françaises que furent l'Algérie et la Nouvelle-Calédonie, comment les Français d'Algérie et les Caldoches sont devenus citoyens. Pour cela, cette étude revient sur les classifications juridiques produites au sein de l'État colonisateur (ethniques ou confessionnelles) et réfléchit à leurs sens pour identifier les populations. Cette démarche implique de repenser la sociologie historique de la citoyenneté en contexte colonial. En effet, tandis qu'en métropole l'apprentissage de la citoyenneté repose sur la promotion d'une participation politique individuelle, libre, éclairée et coupée des solidarités locales, sur le terrain algérien ou néocalédonien, les Français citoyens accèdent à la participation politique par le biais de leur appartenance à des groupes particularisés, et en concurrence avec d'autres dans des sociétés largement ethnicisées et/ou racialisées.
Dans ces conditions, si le projet des colonies de peuplement reste la dissolution de la question indigène, le passage à la modernité politique et à la citoyenneté électorale s'y réalise loin de l'universalisme et de l'individualisme républicain valorisés en métropole. L'apport de ce livre est de mettre en exergue ces évolutions paradoxales de la « fabrique coloniale du citoyen » par rapport à celle de la métropole.
Ont également contibué à cet ouvrage : Chantal Bordes-Benayoun, Emmanuelle Comtat, Olivier Devaux, Martine Fabre, Pierre-Jean Le Foll-Luciani, Jean-Robert Henry, Éric Soriano, Benoît Trépied, Anne Ulrich-Girollet.
Sans outils, sans concepts on n'y voit rien, on ne comprend rien. Aussi le pari de cet ouvrage est-il d'investir la « boite à outils » de Michel Foucault afin d'éclairer les dispositifs, jeux et stratégies des pouvoirs en Afrique de l'Ouest, au risque du décentrement géographique et culturel. Ainsi, partant de données empiriques et d'enquêtes de terrain, plus particulièrement au Sénégal et au Mali, les travaux réunis dans cet ouvrage mobilisent le prisme foucaldien du bio-pouvoir et de la biopolitique, mais aussi, par extension, les notions de gouvernementalité, de dispositif, de contrôle, d'hétérotopie ou de contre-conduite, afin d'opérer des focales sur la santé, la sexualité, la gestion des populations et les mondes de vie en Afrique de l'Ouest.
Il s'agit ici de montrer la fécondité et la pertinence de ce prisme foucaldien sur ces sociétés ouest-africaines, mais également d'en pointer les insuffisances, les inadéquations et les écarts nécessaires au regard de leurs spécificités. Certes, contre les entreprises de dévaluation dont il est trop souvent l'objet, l'État en Afrique de l'Ouest demeure bien un acteur incontournable et efficient de la conduite tant des populations que des individus. Pour autant, les gouvernementalités et biopolitiques à l'oeuvre n'y obéissent jamais à une stratégie univoque, l'économie du pouvoir, orientée vers la gestion de la vie, devant sans cesse y composer avec un enchâssement de stratégies concomitantes et notamment liées à la précarité des vies. En pratique, l'État y a toujours maille à partir avec d'autres instances normatives et disciplinaires (pouvoirs religieux, lignagers, communautaires, magicosorcellaires...) qui s'immiscent dans toutes les sphères de la vie et structurent la continuité des existences. Autrement dit, en Afrique de l'Ouest, le pouvoir vient sans doute un peu plus de partout qu'ailleurs.
L'objectif de cet ouvrage n'est surtout pas d'essentialiser une exceptionnalité ouest-africaine. Au contraire, cette entreprise collective et pluridisciplinaire vise à mieux identifier et comprendre les dynamiques de forces à l'oeuvre et indirectement, par ce décentrement, à éprouver plus avant la fécondité de ces outils.
Les auteurs : Sylvain Vladimir Asse Menyengue, Roberto Beneduce, Dominique Chevé, Emmanuel Cohen, Abdourahmane Coulibaly, Dimi Théodore Doudou, Priscilla Duboz, Fatoumata Hane, Jean-François Havard, Hélène Kane, Joris Lachaise, Enguerran Macia, Amadou Ndao, Eric Ross, Francis Sarr, Simona Taliani.
Reconnue au patrimoine mondial immatériel de l'UNESCO en 2020, la yole ronde, voile traditionnelle, est aujourd'hui l'emblème culturel de la Martinique. Originale et spectaculaire, la yole ronde est devenue grâce à son « Tour » un sport spectacle moderne, source de nouveaux enjeux économiques, touristiques et politiques. L'engouement populaire et médiatique exceptionnel que le Tour de Martinique suscite, fait de la yole ronde un véritable attracteur identitaire et le support de l'affirmation d'une identité martiniquaise en recomposition. Mais pourquoi les Martiniquais sont-ils si attachés à cette pratique ? Que révèle-t-elle de la société martiniquaise ?
Dans une perspective anthropologique, l'auteure nous invite à (re) découvrir l'origine et l'histoire de la yole ronde, mais surtout à mieux comprendre les représentations et imaginaires qui y sont liés. Ferment d'une identité maritime, créole et martiniquaise en construction, la yole ronde se transforme en un puissant révélateur de la complexité de la société martiniquaise, passée et actuelle, confrontée aux effets d'une (sur)modernité agissante qui interroge avec toujours plus d'acuité ses assises sociales, culturelles et identitaires.
Cet ouvrage constitue la première histoire des Soninkés du Fouta Toro qui vient combler un vide historiographique sur les Soninkés de la vallée du fleuve Sénégal, région connue pour le melting-pot de sa population. Cette étude est une contribution importante à la compréhension de l'histoire des Soninkés et de leurs spécificités sociolinguistiques dans cette région, partagée entre la Mauritanie et le Sénégal.
L'étude part du constat que les populations soninkées actuelles, installées en plusieurs endroits du Fouta Toro à partir de la fin du XVIII e siècle, ont su s'intégrer dans la région sans perdre « leur identité » culturelle, contrairement aux migrations soninkées précédentes. En effet, durant tout leur processus d'établissement, elles ont tout mis en oeuvre pour contourner les éléments qui pourraient à long terme avoir raison de leurs spécificités socioculturelles.
L'originalité de cette étude sur les minorités soninkées du Fouta Toro est qu'elle ne se borne pas à un phénomène actuel, mais l'aborde sur le temps long historique, à partir de la fin du XVIII e siècle montrant ainsi que l'identité soninkée n'est pas monolithique, mais plurielle, et surtout qu'elle est dynamique sur la longue durée, interactionnelle avec les voisins et les pouvoirs (Almamiyat, administration coloniale, États indépendants...).
In fine, cet ouvrage montre que même si les Soninkés du Fouta Toro vivent avec des majorités différentes au sein desquelles ils demeurent minoritaires au niveau régional et national, ils n'en restent pas moins attachés à leurs particularités sociolinguistiques, en particulier à travers l'usage de leur langue et de leur «culture», contrairement aux migrations soninkées antérieures à la période étudiée dans cet espace sénégambien.
Le monde occidental connaît le Hezbollah en tant que parti chiite, agent de l'Iran au Liban et force militaire qui fait la guerre à Israël. Médias et gouvernements dénoncent le rôle destructeur du "parti de Dieu" au sein du pays du Cèdre, ainsi que ses ambitions islamistes et terroristes néfastes au bon développement de la société plurielle libanaise. Ce livre s'adresse aux lecteurs et lectrices qui ne se suffisent pas d'une telle analyse réductrice.
Basé sur une connaissance du terrain longue de quinze années et sur l'analyse d'une trentaine d'entretiens, ce livre propose une nouvelle grille de lecture du Hezbollah, qui l'examine non pas comme phénomène externe à la société libanaise mais comme protagoniste inscrit dans l'histoire sociale et politique du pays. Mona Harb analyse aussi comment le Hezbollah forge au sein de la communauté chiite, longtemps stigmatisée, une conscience collective et un sentiment d'appartenance territoriale qui engendrent des sentiments de fierté, d'orgueil et de confiance.
La constitution brésilienne de 1988 prévoit que soient reconnues et légalisées les terres des populations noires paysannes dont les ancêtres étaient des esclaves fugitifs et vivaient en communautés (communautés marrons, en brésilien quilombos).
Votée dans le contexte du premier centenaire de l'abolition de l'esclavage et sous la pression des mouvements militants noirs, cette disposition était surtout un gage symbolique de réconciliation nationale. Dépourvue de tout cadre réglementaire, elle ne semblait d'ailleurs pas applicable. Les quilombos n'étaient voués qu'à être d'improbables lieux de mémoire. Au début des années 1990, pourtant, des " communautés noires " affirment être les héritières des anciens quilombos et, invoquant la constitution, exigent les titres de propriété des terres qu'elles occupent.
A l'interface entre " question agraire " et " question raciale ", entre mémoire et ethnicité, au carrefour du terrain ethnographique et de l'analyse sociologique, cet ouvrage propose de suivre l'aventure au cours de laquelle l'une de ces communautés, Rio das Rãs (littéralement " Rivière des Grenouilles ") de l'État de Bahia, fut amenée à puiser dans son passé les ressources pour garantir sa survie dans le Brésil contemporain.
L'histoire de Madagascar est marquée, depuis l'origine de son peuplement, par l'importance des courants migratoires. De ce fait, les relations intimes entre vazaha (étrangers) et malgaches y sont anciennes. La colonisation de l'île, en 1896, va pourtant conduire à l'émergence de la « question des métis », commune à l'ensemble de l'empire français. Soucieuses de maintenir une situation coloniale hiérarchisée, ordonnée et cloisonnée, les autorités entreprirent une politique particulière à l'égard des métis, qui s'est concrétisée notamment par leur dénombrement, leur prise en charge dans des institutions spécifiques et l'aménagement de la législation pour faciliter leur accès à la citoyenneté française.
Parce que les institutions recueillant les métis y étaient localisées, parce que ces derniers y étaient les plus nombreux et parce que les relations avec l'étranger y étaient ambivalentes, l'Imerina devint le lieu principal d'expression de cette « question métisse ». Or, cette société était organisée en groupes statutaires hiérarchisés dont les unions étaient réglementées. Son fonctionnement en foko (dèmes) associait en outre territorialité et ancestralité. Dès lors, comment les métis, dont l'origine dérogeait en partie à ces règles, ont-ils pu inscrire leurs trajectoires dans cette région ?
Si cet ouvrage est centré sur le moment colonial (1896-1960), il remonte néanmoins au XIXe siècle précolonial pour montrer comment la colonisation a construit la catégorie « métis ». Il intègre aussi des prolongements contemporains, en analysant, notamment à travers les récits de vie, comment les métis ont su contourner ou se réapproprier cette catégo-risation en jouant de leurs appartenances multiples.
Vous trouverez ici le fruit d'un travail passionné de deux années qui a rassemblé un collectif de femmes et d' hommes dans l'unique but de participer à la réhabilitation d'une histoire raturée, gommée : l'histoire de l'esclavage transatlantique, qui a bien duré quatre siècles et brisé des millions de vies !
Comme le dit Lydie Ho-Fong-Choy Choucoutou, professeur de lettres, « il ne s'agira nullement de réveiller les démons du passé, comme le pensent certains, mais de restituer des repères historiques à des populations dépourvues de mémoire. Il s'agira surtout de s'approprier une histoire qui constitue l'acte fondateur des sociétés guyanaises mais aussi antillaises et réunionnaises ... » Selon Michaella Perina, philosophe, « c'est de mémoire collective qu'il s'agit, et il importe que l'humanité tout entière garde en mémoire ce que l'homme a été capable de faire de pire à son semblable, ainsi que les multiples formes de légitimation qu'il a été capable de fournir, d'inventer... » Aux côtés de l'écrivain Patrick Chamoiseau, qui sonde les profondeurs de la mémoire obscure et de la mémoire consciente, Dany Bébel-Gisler, ethnologue et linguiste, nous propose de reconstruire le lien brisé. Alors que l'écrivain Édouard Glissant, dans une déclaration solennelle, inter pelle sur le poids de la traite et de l'esclavage, Emmanuel Jos, juriste, qualifie le crime et argumente la réparation. Howard Dodson, directeur d'un centre de recherche sur les cultures du monde noir, à partir de travaux de recherche d'économistes américains en évalue le prix.
Enfin, Aldiouma Cissokho, militant pour les droits de l'homme, nous restitue une réalité contemporaine : l'esclavage existe encore en tant qu'institution en Mauritanie.
Ainsi, plus de vingt auteurs, par des analyses croisées, témoignent de nos complexités, de nos ambiguïtés, de nos richesses ... Le Comité Devoir de mémoire, lui, en vous invitant au débat, garde le fervent espoir d'un large soutien de la communauté noire, pour une reconnaissance de l'esclavage afro-américain comme crime contre l 'humanité, par l'ensemble des nations du monde, ouvrant ainsi la voie à des réparations nécessaires.
Cet ouvrage se propose de revisiter la mémoire nationale algérienne pour montrer combien celle-ci participe à fois à la légitimation et à la contestation du pouvoir dans une société façonnée par la guerre d'indépendance, comme l'illustre le rôle majeur de l'armée encore aujourd'hui. L'auteur développe une perspective critique du nationalisme mémoriel algérien et met à jour la pluralité des points de vue, reflet de la diversité en Algérie.
Il contribue ce faisant à éclairer les fondements de la crise identitaire que traverse la société algérienne, qui peine à élaborer un projet de « vivre ensemble » et à faire émerger une citoyenneté faisant consensus. Cette question se pose avec acuité après les « printemps arabes », et l'affaiblissement de la légitimité révolutionnaire des dirigeants algériens.
En étudiant « l'histoire vue de l'autre côté », à travers des sources d'une grande amplitude (enquêtes de terrain en Algérie réalisées de 2006 à 2017, étude des musées et des monuments commémoratifs, archives militaires et judiciaires), l'auteur se positionne de manière originale par rapport au contentieux mémoriel franco-algérien. Il propose une histoire connectée des mémoires, faisant la part belle à une analyse critique des usages algériens du passé et des imaginaires sociaux que ces mémoires construisent. « L'histoire à parts égales » n'est-elle pas un devoir pour parvenir à une « juste mémoire » ?
Ce livre se fonde sur le célèbre cri de protestation et d'espoir, « Y'en a marre », né au Sénégal et repris par la jeunesse africaine et sur l'inventivité artistique des gens de peu pour imaginer les rêves d'un autre monde possible. Il esquisse les modalités pratiques par lesquelles la philosophie africaine peut renoncer à « l'immaculée conception » et s'approprier vigoureusement la question du social.
Kasereka Kavwahirehi pose ainsi courageusement la question du renouvellement, de la reconstruction, de la production du sens et de la finalité de la philosophie africaine dans un contexte où l'Afrique doit construire son « à-venir » en faisant face à de nouvelles luttes sociales contre la poussée néo-libérale et la mondialisation violente des inégalités.
Le pari de ce livre est de faire éclore une philosophie africaine qui témoigne du désir de profondes transformations sociales et politiques qu'expriment les foyers de résistance constitués par les mouvements citoyens, la musique urbaine et les gens ordinaires qui utilisent leur précarité comme force mobilisatrice et point initial pour l'action et la solidarité. C'est une invitation à jeter un regard neuf sur le monde et à réactualiser les potentiels utopiques des mémoires africaines. À l'exemple de Socrate, sillonner les rues de nos cités bruyantes et y jouer le rôle de sage-femme, tel est aussi le défi à relever.
Coédition Karthala - IRMC Tunis.
L'Algérie n'est pas l'exception autoritaire illisible que l'on présente parfois. En combinant les apports de l'observation sociologique et de la théorie critique, ce livre s'efforce de dépasser les fictions qui suggèrent l'existence d'un « Système » omnipotent, impersonnel et corrupteur, en décortiquant les transformations de l'ordre politique algérien au cours des trois premiers mandats d'Abdelaziz Bouteflika. Rendue à la fois possible et nécessaire par la crise qui a touché le pays à partir de la fin des années 1980, cette mise à jour s'est faite en accord avec des tendances globalisées qu'elle imite ou précède, avec en arrière-fond le spectre d'une catastrophe qui menacerait de replonger le pays dans la guerre civile.
Cet ouvrage part du postulat que l'Algérie est confrontée à une crise toujours latente. Le souvenir de la décennie noire (1992-1999) nourrit ainsi l'idée d'une menace existentielle pesant sur le pays, orientant les politiques gouvernementales et les stratégies des acteurs. Cette situation a une dimension objective, puisqu'elle fait écho à une contestation fragmentée mais néanmoins permanente ainsi qu'aux contradictions internes du cartel qui tient l'État algérien. Elle a aussi une dimension subjective dans la mesure où les discours catastrophistes irriguent l'espace public, annonçant un bouleversement sans cesse repoussé. La crise latente est donc devenue une ressource qui justifie les dispositifs sécuritaires, mais aussi les réformes politiques et économiques.
Par ailleurs, ce livre étudie aussi la violence symbolique qui accompagne la suspension de la catastrophe. L'incertitude brouille les cartes, questionne le passé et hypothèque l'avenir ; elle touche de plein fouet l'image de la communauté imaginaire, sans invalider totalement l'idéal de sainteté politique sur lequel l'ordre politique algérien a été bâti après 1962. La recherche de sens conduit néanmoins à des discours imputant la responsabilité des problèmes du pays à la population. Les déséquilibres structurels et les choix politiques s'effacent devant l'image d'une société prétendument malade et/ou pré-moderne. Dès lors, le « Système », aussi corrompu et violent qu'il puisse paraître, est naturalisé. Les dirigeants, mais aussi certains de leurs opposants les plus critiques, endossent alors un rôle disciplinaire pour contrôler une masse anarchique et manipulable.
Nourri par un travail ethnographique mené depuis 2006, ce livre s'attache à décrire et à analyser la manière dont les Wayùu de Colombie tissent des liens avec leur environnement et l'investissent par leurs pratiques. Le quotidien des Wayùu est présenté à travers les multiples situations qui le jalonnent : plongée en apnée, navigation, pratiques funéraires, danses de la pluie, règlement des conflits, circulation des biens et des animaux, gestion précautionneuse des morts et des esprits, usages des lieux, interprétation des variations climatiques, des cycles stellaires, des phénomènes maritimes...
Un souci transversal anime l'auteur : saisir la manière dont les événements sont vécus par les protagonistes. C'est un monde singulier, tiraillé par de multiples logiques et peuplé par des êtres de natures diverses que ce livre invite à découvrir. Il pointe ce faisant la nécessité de décentrer notre regard et de questionner nos propres outils conceptuels pour saisir pleinement la spécificité de l'inscription des Wayùu de Colombie dans le monde, entremêlant descriptions ethnographiques, réflexions théoriques et considérations épistémologiques.
"Dès l'incipit, le lecteur est plongé au coeur de l'intrigue centrée sur Mademba Sèye qui a vécu les premières phases de la domination coloniale au cours desquelles il est parti, avec l'aide de ses parrains français, d'un statut de simple commis des postes, comme télégraphe, à celui de roi africain (en Bambara, Fama). En 1900, moins d'une décennie après la conquête par les Français d'un vaste hinterland de l'Afrique occidentale française, Fama Mademba Sèye, un sénégalais né dans la ville coloniale française de Saint-Louis du Sénégal, nommé roi des États de Sansanding et des Dépendances sur les rives du fleuve Niger, se retrouve assigné à résidence dans la capitale coloniale à Kayes au motif qu'il aurait systématiquement abusé de son pouvoir, commis des meurtres rituels, violé d'innombrables femmes et extorqué d'importantes richesses à ses sujets. Alors, Mademba écrit au Gouverneur général de l'Afrique occidentale française pour demander qu'on lui donne la possibilité de se disculper devant un tribunal français. Ce qui lui est refusé : «Il n'est nullement question que le cas de Mademba soit porté devant un tribunal français». Pour le Gouverneur général, « l'affaire Mademba (...) est à la fois plus délicate et plus grave qu'il n'y paraît ». Pourquoi le Ministre des Colonies avait-il alors si peur de laisser Mademba tenter de se disculper devant un tribunal français ? Qu'est-ce qui a rendu cette affaire si «délicate» et si «sérieuse» ? Et que révèle cette affaire contre Mademba sur les points d'intersection entre le colonialisme et l'État de droit ?
Dans la reconstruction de la biographie de Mademba, l'auteur révèle qu'à son grand regret Donald Trump en campagne à la présidence des USA a été sa muse. En effet Trump et Mademba partagent des traits similaires : le même narcissisme et la crainte de l'insécurité, la misogynie, la maltraitance des femmes, le poids des parrains pour construire la légitimité de leur autorité, un personnage en constant bricolage En décryptant la façon dont les Africains ont vécu les grandes transformations du colonialisme par le « remake » de Mademba, la « voix » auctoriale n'est pas toujours seule à se faire entendre. En effet, l'auteur s'efface souvent et se tait pour céder sa place à un narrateur tout différent de lui, ce même narrateur se trouve également amené à laisser la parole aux protagonistes de son propre récit. Ainsi, grâce aux subtilités inhérentes au discours rapporté, le texte laisse entendre la voix des protagonistes dont les propos sont cités, transposés ou narrativisés. Cette gestion de la polyphonie donne au texte un style original, voire captivant."