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Le Realgar
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Perché en haut d'une falaise qui surplombe l'océan, le bar del'Oubli est un lieu réputé, fréquenté par les noctambules de la côte nord, enBretagne, et par les voyageurs de passage qui s'y arrêtent dès qu'ils en ontl'occasion. Après avoir bravé la tempête, traversé la lande et emprunté lechemin des douaniers, un homme découvre, étonné, ébloui, ce bar qui ne ressembleà aucun autre. Poètes et écrivains disparus y occupent une place de choix. Tousont leur photo aux murs et incitent les buveurs et les buveuses désirants'offrir une escapade à faire un bout de route en leur compagnie. Cela va durerdes heures. Les tournées se succèdent. Les rencontres aussi. Bientôt, la nuitbasculera par dessus bord et l'inconnu, subjugué par tout ce qu'il a vu etentendu, devra regagner son hôtel avec des mots, des images, des visages pleinla tête.
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Un homme attend dans la rue de Varenne, à l'entrée du Musée Rodin. On vient l'avertir que la femme avec qui il a rendez-vous vient de prévenir qu'elle aurait un peu de retard. Un temps suspendu passé à interpeller le statuaire sur son histoire avec Camille, la passion qu'ils ont vécue et le vertige qui l'a perdue.
Quand il voit son héroïne sortir de la bouche de métro et précipiter son pas vers lui, il se demande ce qui signifient ces secondes gagnées au regard de celles qui se sont passées en amont. Ils le comprendront en entrant dans la salle qui contient la Valse, vivant en plein - et malgré eux - le pacte des scuplteurs : le temps dans l'espace, le feu dans la pierre.
« Tout le texte explore la dualité fragile du balancement et du stable. C'est un superbe moment d'écriture d'un auteur en pleine possession de ses moyens. Cependant, on est loin de l'exercice littéraire stérile qui afficherait une virtuosité. La sophistication ne rompt pas le charme, elle l'augmente et l'enrichit par moult considérations sur l'art et les rapports de l'artiste à son travail. » Christian Chavassieux -
"Les mots sont vifs qui disent ici les morts. Et riches ceux qui content leurs misérables misères. Les Vanités, celles des peintures qu'on aime tant, saturées de nacres et d'argent, de bijoux, vanitas vanitatis, n'y ont pas leur place. D'ailleurs, il n'y a de place pour personne dans ces carrés d'éternité, ni devant eux, ni à côté. On ne pourra pas dire qu'il n'y a que la mort pour faire les gens égaux. Formule pour les nantis des cimetières. Car dans les champs du repos, comme on les appelle parfois, certains reposent moins bien que d'autres. Il faut dire que ça les a pris depuis longtemps. Et pour ceux-là depuis toujours. La vie comme une poisse. Peut-être aurait-il mieux valu qu'ils ne naissent pas. Mais aucun d'eux n'a lu Cioran pour confirmer, bien que et même si vivre empire. Maintenant ils sont là, dans leur Cadastre des misères celui que Vincent Dutois a délinéé pour eux. " Pascale Busson-Martello
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« Y a-t-il dans l'air, grâce à des fleurs, un narcotique qui se respire, est-ce la quantité des eaux dormantes ou bien la transmission, par la piqûre d'un insecte spécial, d'un virus qui touche au tempérament ? Les riverains, ici, flottent, divaguent. Ils ont dans les yeux du miel rose. Ils parlent très bas dans une langue sans verbes et, selon eux, le fleuve est féminin. Le plus souvent, ils dorment au soleil blanc de janvier, au soleil frais après chaque averse de mars, au soleil dans le fil de soie des brouillards de mai et au simple soleil roux d'octobre ; sur les coteaux ombreux, l'été. »
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« Courroucés, les poètes, qui soupçonnent les savants d'être sur ce théâtre d'incorrigibles cuistres, renversèrent les meubles, quelques-uns colportant que la mort n'avait rien de farouche et qu'entre son néant, monotone ? son trou noir, sa nécrose ?, et les extases fallacieuses de la démence, la vie se condensait en une phrase qu'il me faudrait apprendre à lire ou à écrire, et à traduire, gueuler, caresser, dévêtir, pour être un jour en droit d'enrouler son écharpe au chant douloureux des sirènes. »
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Par les caprices du labyrinthe monstrueux au-dessus duquel elle s'est étendue, Saint-Étienne vibre et danse, questionne le regard du minotaure égaré entre ses murs. C'est une ville où, singulièrement, la verticale des immeubles impose cet exercice rare au piéton : penser à sa propre verticalité. C'est une ville dont le dessin des rues reprend ponctuellement le méandre des eaux. C'est une ville couchée sur des kilomètres de rivière turbulente et des kilomètres de galeries éteintes. C'est vivant et c'est mort, c'est demain et c'est ancien, c'est là et ce n'est pas là, c'est là.