«Tout d'un coup, dans le petit chemin creux, je m'arrêtai touché au coeur par un doux souvenir d'enfance : je venais de reconnaître, aux feuilles découpées et brillantes qui s'avançaient sur le seuil, un buisson d'aubépines défleuries, hélas, depuis la fin du printemps. Autour de moi flottait une atmosphère d'anciens mois de Marie, d'après-midi du dimanche, de croyances, d'erreurs oubliées. J'aurais voulu la saisir. Je m'arrêtai une seconde et Andrée, avec une divination charmante, me laissa causer un instant avec les feuilles de l'arbuste. Je leur demandai des nouvelles des fleurs, ces fleurs de l'aubépine pareilles à de gaies jeunes filles étourdies, coquettes et pieuses. "Ces demoiselles sont parties depuis déjà longtemps", me disaient les feuilles.»
Nous sommes en 29 avant notre ère:Octave, le futur empereur, vient de se rendre maître du monde grâce à sa victoire sur Antoine et Cléopâtre, et Virgile publie ses Géorgiques, dédiées à Mécène, un proche d'Octave. Le contenu des quatre chants, tel qu'annoncé dans les premiers vers, laisse attendre un traité d'agriculture. Virgile semble donc soutenir les efforts d'Octave en faveur de l'agriculture italienne et encourager comme lui les Romains à se faire paysans.Mais Virgile est un poète, peut-être le plus grand poète latin, et Les Géorgiques sont bien autre chose qu'un simple traité. Elles proposent, avec un souffle et une ampleur rarement égalés, une morale fondée sur l'effort et le travail comme conditions de l'élévation de l'homme, en même temps qu'une réflexion sur la place de celui-ci dans la nature. Comme toute grande oeuvre, elles questionnent également le lecteur sur leur sens et l'interprétation qu'il est possible de leur apporter.Dossier1. Les Géorgiques ou l'éloge du travail de la terre2. Travail du paysan, travail du poète3. La question des excursus et le sens des Géorgiques4. Postérité de l'oeuvre.
Dans Les Trois Mousquetaires revit toute l'Histoire : le Moyen Âge parce que c'est une épopée chevaleresque ; le XVIIe siècle dominé par Richelieu fondateur de la France moderne ; le romantisme parce que des héros exceptionnels, qui ont disparu d'une société contemporaine dépoétisée, se réfugient dans le roman. L'auteur y a mis tout son art : la surprise, la vitesse, l'humour, la couleur, le sens du mystère et de la grandeur. Le lecteur se sent un instant aventureux comme d'Artagnan, séducteur comme Aramis, hercule comme Porthos, profond comme Athos, poète comme Dumas.
Sur la route qui mène de l'enfance à la vieillesse, des joies de Combray à la perte des illusions du Temps retrouvé, Le Côté de Guermantes signe la fin de l'adolescence. On y observe l'aristocratie parisienne à travers les yeux d'un jeune bourgeois. Deux amours impossibles et douloureuses s'y nouent : la passion du Narrateur pour Oriane de Guermantes, et celle de son ami Saint-Loup pour l'actrice Rachel. Le salon mondain est un microcosme qui révèle ce qui intéresse en profondeur le romancier : la lutte de l'intelligence contre la bêtise, la force de la confrontation des points de vue, la richesse de la fluidité des identités.
Le Côté de Guermantes est le témoignage mélancolique d'une époque en transition, qui court à la guerre de 1914. Le spectre de l'affaire Dreyfus plane sur tout le roman et en divise les acteurs. La lucidité et le pessimiste de Proust s'y expriment avec vigueur. Dénonçant le règne des apparences, le romancier met son extraordinaire talent d'observateur au service d'une satire sociale. Il fait de l'ironie une arme de combat, et de la méchanceté un art. Le Côté de Guermantes est le roman le plus drôle de toute la Recherche. Il est aussi le plus sombre : s'y jouent la maladie de la grand-mère du Narrateur, et celle de Swann. Mais par-dessus tout, c'est l'émerveillement devant le mouvement de la vie qui emporte le Narrateur et son lecteur.
À la recherche du temps perdu est une exceptionnelle comédie sociale. Le Côté de Guermantes en est la preuve éclatante.
«Les parties blanches de barbes jusque-là entièrement noires rendaient mélancoliques le paysage humain de cette matinée, comme les premières feuilles jaunes des arbres alors qu'on croyait encore pouvoir compter sur un long été, et qu'avant d'avoir commencé d'en profiter on voit que c'est déjà l'automne. Alors moi qui depuis mon enfance, vivant au jour le jour et ayant reçu d'ailleurs de moi-même et des autres une impression définitive, je m'aperçus pour la première fois, d'après les métamorphoses qui s'étaient produites dans tous ces gens, du temps qui avait passé pour eux, ce qui me bouleversa par la révélation qu'il avait passé aussi pour moi. Et indifférente en elle-même, leur vieillesse me désolait en m'avertissant des approches de la mienne.»
1er août 1914 : la France décrète la mobilisation générale. Le 2 août, Genevoix, brillant normalien qui n'a pas 24 ans, rejoint le 106e régiment d'infanterie comme sous-lieutenant... Neuf mois plus tard, il est grièvement blessé : c'est la fin de la guerre pour le jeune homme.
Entre ce mois d'août 1914 et les trois balles qui l'atteignent en avril 1915, Genevoix aura participé à la bataille de la Marne, marché sur Verdun et, pendant quatre longs mois, défendu les Éparges. Sous le feu des obus, il aura vécu le quotidien du fantassin, la boue, le sang, la mort, mais aussi, avec ses «camarades du 106», la solidarité et l'humanité partagée.
Dès 1916 et jusqu'en 1923, Genevoix publie cinq récits de guerre, écrits dans une langue précise et humble, réunis en 1949 sous le titre Ceux de 14. C'est cette édition définitive retravaillée par l'auteur que nous donnons à lire. Plus qu'un grand classique sur 14-18, voici l'oeuvre d'un immense écrivain.
Une journée dans la vie d'une femme. Vivant dans la haute société anglaise, au lendemain de la Première Guerre mondiale, l'héroïne s'interroge sur ses choix - pourquoi n'a-t-elle pas épousé l'homme qu'elle aimait vraiment, qui lui rend visite ce jour-là? -, ses souvenirs, ses angoisses - pourquoi est-elle si frappée par la mort d'un ancien militaire qui ne s'est pas remis de la guerre, pourtant un parfait inconnu pour elle? Crise existentielle qui mène à un dédoublement de personnalité, aux portes de la folie. Ce grand monologue intérieur exprime la difficulté de relier soi et les autres, le présent et le passé, le langage et le silence, mais aussi de se reconnaître soi-même. Comment s'émanciper du carcan social, comment assumer son identité? Publié en 1925, Mrs Dalloway est le chef-d'oeuvre de Woolf et l'un des piliers de la littérature du XX? siècle. Dans ce roman poétique, porté par la musique d'une phrase chantante et d'une narration incisive, les impressions deviennent des aventures.
JULIETTE Viens, nuit! Viens, Roméo! Viens, mon jour dans la nuit.
Car sur les ailes de la nuit, tu vas reposer Plus blanc que sur le dos du corbeau la neige, Viens, douce nuit, amoureuse au front noir, Donne-moi Roméo ; et, quand je serai morte, Prends-le, fais-le se rompre en petites étoiles, Lui qui rendra si beau le visage du ciel Que l'univers sera comme fou de la nuit Et n'adorera plus l'aveuglant soleil.
(Acte III, scène II).
Nombreux sont les écrivains à la vie aventureuse et passionnante. Cependant, aucune oeuvre française n'a suscité autant de scandales ni donné lieu à des fêtes aussi mémorables. Molière met à l'honneur des thèmes sulfureux : la mondanité dans Les Précieuses ridicules, le « féminisme » dans L'École des femmes, l'impiété dans Tartuffe, le libertinage dans Dom Juan... Devenu très rapidement le comédien-dramaturge favori de Louis XIV, plusieurs de ses pièces, et notamment les grandes comédies-ballets, seront créées et rejouées lors des divertissements royaux dont elles seront le clou (c'est Molière qui, avec la complicité de Lully, a inventé Broadway !), et l'histoire de leurs premières fourmille d'anecdotes savoureuses : La Princesse d'Élide lors des fêtes des Plaisirs de l'Île enchantée et Georges Dandin à Versailles ; Monsieur de Pourceaugnac à Chambord ; Les Amants magnifiques à Saint-Germain-en-Laye ; Le Bourgeois gentilhomme à Chambord ; Psyché au palais des Tuileries, etc.
En 1643, âgé d'à peine vingt et un ans, Molière fonde avec la comédienne Madeleine Béjart la troupe de l'Illustre Théâtre. Deux ans plus tard, incapable d'honorer ses dettes, Molière s'enfuit de Paris pour voyager en province et, chemin faisant, obtient la protection de Monsieur, frère du Roi. En 1658, la troupe débute devant la cour. Les créations se succèdent alors sous la protection de Louis XIV : c'est le théâtre sous toutes ses formes, de l'impromptu au spectacle total que sera la comédie-ballet, désormais au centre des divertissements royaux du Roi-Soleil.
Les notices d'introduction de chaque pièce font la part belle aux événements (succès, scandales, censures) qui ont ponctué leurs représentations. Mises bout à bout, elles forment le passionnant feuilleton de l'aventure de la compagnie la plus célèbre du théâtre français. Mais aussi de la vie de Molière, formidable stratège en « médiatisation », et qui, plus d'une fois, parvint à faire du roi son complice. Une histoire littéraire rivée à l'histoire du règne de Louis XIV.
Pourquoi Hamlet n'a-t-il pas été écrit par une femme? À cette question, faussement naïve et vraiment provocante en 1929, Woolf répond:car une femme n'aurait pas eu «un lieu à elle» pour écrire. De quel lieu s'agit-il? Espace concret de la pièce de travail où s'isoler; espace temporel où les femmes sont libérées des tâches domestiques; espace mental où elles sont libres de penser. Espace de liberté économique, aussi, qui leur permette de s'assumer seules. C'est enfin l'espace qui reste à créer dans la tête des hommes (et des femmes) pour admettre que oui, les femmes peuvent travailler, penser et écrire à l'égal des hommes. Impeccable démonstration historico-sociale sur les obstacles qui ont conduit les femmes à demeurer dans un état de minorité face aux hommes, Un lieu à soi est un texte hybride, tout à la fois essai, récit autobiographique, fiction utopique et manifeste idéologique. Woolf met sa finesse et son ironie au service d'une cause toujours actuelle.
Le premier chef d'oeuvre de la littérature grecque et européenne. L'Iliade raconte le siège de Troie par les armées grecques, qui dura dix ans. L'oeuvre a nourri vingt siècles de littérature et d'art. L'abondance des personnages, le romanesque des situtations, les nombreuses tragédies que renferme l'épopée, l'alliance des dieux et des hommes, les leçons politiques, la violence des conflits, la beauté des scènes, la poésie font la richesse d'une oeuvre de près de 15 000 vers qui se lit sans reprendre haleine.
1898 : en pleine affaire Dreyfus, le Paris fin-de-siècle se divise ; mais c'est un tout autre enjeu qui se trame dans la cour d'un hôtel particulier. La parade amoureuse de Charlus et Jupien - un bourdon autour d'une fleur - révèle au Narrateur la « race maudite » des « hommes-femmes », survivants de Sodome et Gomorrhe. Narrateur et lecteurs deviennent voyeurs. Ainsi, dans cette après-midi printanière, nous sommes bien loin du charme bucolique de Combray et des intermittences du coeur : l'âge adulte et le trouble des désirs émergent brutalement. Honteuse ou heureuse, « l'inversion » inquiète le Narrateur. Albertine lui est-elle acquise ?
Mais l'écume des choses n'est rien à côté du chagrin retrouvé au souvenir de la mort de sa grand-mère. Quelles traces laisser, comment se survivre à soi-même ? Dans ce théâtre mondain et politique, la société est, sans le savoir, en pleine transformation.
Dernier volume publié du vivant de Proust, Sodome et Gomorrhe est une prouesse de lucidité, d'audace et de modernité sur la société et sur l'individu. Progrès techniques et troubles du genre annoncent un monde nouveau, qui est déjà le nôtre.
Ce court roman (deuxième partie de Du côté de chez Swann) contient tout ce qu'on aime lire : une peinture sociale, celle de l'immortel clan Verdurin et du cercle aristocratique de Mme de Saint-Euverte, dans les années 1880 ; une histoire d'amour et de jalousie, mettant en scène un dandy et une courtisane ; des réflexions sur l'art (peinture et musique) ; le comique et le tragique ; le passage du temps et le phénomène de mémoire involontaire ; enfin, un récit tout en analyse et des dialogues étincelants, et bien souvent hilarants. Proust a mis ici tout ce qu'il pense et sent sur l'amour. Roman qui condense toute la Recherche, confession intime cryptée, Un amour de Swann est un chef-d'oeuvre dont le sens est caché sous de multiples enveloppes, métamorphoses, synthèses et fusions - profondeur que n'épuise jamais la lecture.
HAMLET Voici l'heure sinistre de la nuit, L'heure des tombes qui s'ouvrent, celle où l'enfer Souffle au-dehors sa peste sur le monde.
Maintenant je pourrais boire le sang chaud Et faire ce travail funeste que le jour Frissonnerait de voir. Mais, paix ! D'abord ma mère.
Oh, n'oublie pas, mon coeur, qui elle est. Que jamais Une âme de Néron ne hante ta vigueur!
Sois féroce mais non dénaturé.
Mes mots seuls la poignarderont ; c'est en cela Que mon âme et ma voix seront hypocrites ;
Mon âme! aussi cinglantes soient mes paroles, Ne consens pas à les marquer du sceau des actes!
(Acte III, scène II).
Un scientifique découvre une formule d'invisibilité qu'il essaie sur lui-même. Profitant de son nouvel état, il commet des vols en tout anonymat. Mais il ne parvient pas à trouver l'antidote : le voilà condamné à demeurer invisible. Dès lors, comment vivre en marge de la société ?
L'Homme invisible se fonde sur une utopie scientifique. Un rêve ancien : celui de pouvoir réaliser ses fantasmes à l'insu de tous. Voir sans être vu. Mais le rêve se heurte aux lois de la science et aux règles de la société. Griffin, le héros (qui est albinos), se verra rejeté par tous, traité comme un paria. Le roman raconte une tragédie de la solitude et de la différence. Inadapté à la société, Griffin est un apprenti sorcier, qui finira captif de son rêve. Misanthrope et grotesque, ce héros négatif ne cesse pourtant de nous fasciner.
Roman haletant, tragi-comique, L'Homme invisible (1897) est une inépuisable source d'inspiration pour la culture populaire, rejoignant les grands mythes de l'humanité.
Traduction neuve de «La Divine Comédie» entreprise par Danièle Robert, qui prend enfin en compte, dans notre langue, l'intégralité de la structure élaborée par Dante. Animée d'un souffle constant, ne se départant jamais, dans sa fidélité même, de la valeur poétique, cette traduction permet d'aller plus avant dans la découverte de la beauté inventive, de la puissance, de la modernité de ce chef-d'oeuvre universel.
«Je pouvais mettre ma main dans sa main, sur son épaule, sur sa joue, Albertine continuait de dormir. Je pouvais prendre sa tête, la renverser, la poser contre mes lèvres, entourer mon cou de ses bras, elle continuait à dormir comme une montre qui ne s'arrête pas, comme une bête qui continue de vivre quelque position qu'on lui donne, comme une plante grimpante, un volubilis qui continue de pousser ses branches quelque appui qu'on lui donne. Seul son souffle était modifié par chacun de mes attouchements, comme si elle eût été un instrument dont j'eusse joué et à qui je faisais exécuter des modulations en tirant de l'une, puis de l'autre de ses cordes, des notes différentes.»
La Bible de l'esprit décadent et de la «charogne» 1900. À travers le personnage de des Esseintes, Huysmans n'a pas seulement résumé, immortalisé les torpeurs, les langueurs, les névroses vénéneuses et perverses du siècle finissant. Des Esseintes est aussi un héros kierkegaardien, à la fois grotesque et pathétique, une des plus fortes figures de l'angoisse qu'ait laissées notre littérature. Fils spirituel de René et de la génération du mal du siècle, il annonce à bien des égards le Bardamu de Céline et le Roquentin de La Nausée.
Pour un nombre considérable de lecteurs, À la recherche du temps perdu est une oeuvre à part, la référence, le Livre. Au catalogue de la Pléiade, le coffret réunissant ses quatre volumes fait figure de navire amiral. L'établissement du texte, l'appareil critique, les Esquisses qui révèlent le roman en formation rendent cette édition irremplaçable. Selon toute vraisemblance, ce n'est que par crainte de devoir acquitter un supplément de bagage que les voyageurs ne l'emportent pas plus souvent sur l'île déserte.À l'occasion du centième anniversaire de la mort de Proust, la Pléiade propose à titre exceptionnel, et à tirage limité, le texte de la Recherche, intégral et nu (les notes et les Esquisses restant l'apanage de l'édition en quatre volumes), en deux tomes d'environ 1500 pages chacun. Ce tirage satisfera les globe-trotters, sans leur être réservé. Les sédentaires le placeront près de leur fauteuil. Les promeneurs le glisseront dans leurs poches. Toute table de chevet pourra l'accueillir. Une oeuvre-monde, toujours à portée de main, explorable à l'infini.
Le Second Empire vise à faire de Paris la capitale de la mode et du luxe. La ville se modernise. Les boutiques du Paris ancien laissent place peu à peu aux grands magasins, dans le voisinage des boulevards et de la gare Saint-Lazare. La nouvelle architecture illustre l'évolution des goûts : on entre dans le royaume de l'illusion. Octave Mouret, directeur du Bonheur des Dames, se lance dans le nouveau commerce.
L'exploit du romancier est d'avoir transformé un épisode de notre histoire économique en aventure romanesque et en intrigue amoureuse. Rien d'idyllique pourtant : le magasin est construit sur un cadavre ensanglanté, et l'argent corrompt tout. Pour Zola, la réussite du grand magasin s'explique par la vanité des bourgeoises et le règne du paraître. Il nous décrit ici la fin et la naissance d'un monde : Paris, incarné ici dans un de ses mythes principaux, devient l'exemple de la cité moderne.
Au tragique psychologique - celui de l'amour - vient se superposer un tragique en quelque sorte moral - celui de la dignité perdue - qui n'apparaît que dans Phèdre. Ici seulement, le personnage se livre à sa passion en la haïssant, continue à combattre contre soi, tout en s'abandonnant à lui-même, pour être vaincu enfin sur les deux plans où se développe cette tragédie singulière : le plan moral et le plan psychologique. Phèdre est un témoin de la liberté. Racine remplit ici la vocation éternelle de la tragédie, qui est d'orchestrer une méditation sur la situation de l'homme.
«Il restera les livres, disait Jorge Semprun. Les récits littéraires, du moins, qui dépasseront le simple témoignage, qui donneront à imaginer, même s'ils ne donnent pas à voir... Il y aura peut-être une littérature des camps... je dis bien:une littérature, pas seulement du reportage...»Les textes réunis dans ce volume ont été écrits entre 1946 et 1994 par des survivants des camps nazis. Ces survivants partagent un même dessein:témoigner de l'expérience qui a été la leur, la rendre mémorable dans une langue - le français - qu'ils ont reçue en héritage ou dont ils ont fait le choix. Moins en rapportant des épisodes extrêmes, des moments limites, qu'en rendant compte de l'ordinaire du temps concentrationnaire, sur quoi la mort règne et dans lequel s'effacent les formes et figures de l'humain.Tous constatent que les mots manquent pour exprimer une telle insulte à l'espèce humaine. «On ne se comprenait pas» (Antelme). «Il n'y a rien à expliquer» (Cayrol). L'écriture touche là aux limites de son pouvoir. Dans une entreprise de cet ordre, impossible de satisfaire aux exigences de transparence et de véridicité généralement associées au langage quand il se fait témoignage. Pour que l'indéchiffrable monde des camps échappe, si peu, si partiellement que ce soit, à l'incommunicable, pour que quelque chose existe qui relève de la transmission, chacun de ces écrivains doit explorer l'envers du langage et approfondir la «réalité rêvée de l'écriture» (Semprun). C'est à «la vérité de la littérature» (Perec) qu'il revient de préserver la vérité de la vie.Littérature. Le mot peut paraître sans commune mesure avec l'objet de tels récits. Il ne choquait pas leurs auteurs. C'est que la part littéraire ne relève pas chez eux d'un savoir-faire ou d'une rhétorique, moins encore d'un désir d'esthétisation. Mais d'un souci éthique de la forme, d'une morale du style. Antelme:«il faut beaucoup d'artifice pour faire passer une parcelle de vérité.» Semprun:« Raconter bien, ça veut dire :de façon à être entendus. On n'y parviendra pas sans un peu d'artifice. Suffisamment d'artifice pour que ça devienne de l'art!» Permettre d'imaginer l'inimaginable, rendre le lecteur sensible à une vérité aussi inconcevable exige une profonde réélaboration de la réalité.C'est en cela que les livres ici réunis sont des chefs-d'oeuvre de la littérature du second XX? siècle. Et c'est pour cela que les qualifier de chefs-d'oeuvre de la littérature ne les disqualifie pas, ne les rend pas inférieurs à la fonction que leur ont assignée leurs auteurs:témoigner d'«une catastrophe qui a ébranlé les fondements mêmes de notre conscience» (Cayrol).C'est bien à la littérature - ici non pas truchement de l'illusion, mais instrument de la vérité - que ces survivants, ces
Rien n'est plus étranger au personnage de Julien Sorel que la sérénité des vainqueurs. Alors que Napoléon, son modèle, est à jamais défait, Sorel est condamné à grandir dans une famille mesquine, à vivre dans une province trop étroite. Le fracas des fusils a laissé place au bruit lancinant de la scierie familiale : soldat privé de bataille, il ne lui reste que le coeur des femmes à faire saigner. Premier de ses amours, dernière de ses victimes : Mme de Rênal, jeune femme mélancolique, tombée amoureuse de Julien, devenu précepteur de ses enfants.
Il la retrouvera dans le claquement des pistolets. Arrivé à Paris il séduit Mathilde de la Mole, jeune et fougueuse aristocrate, non pour sa fortune mais par défi, pour subjuguer la fierté qu'il croit lire dans ses yeux. Pour Sorel c'est là tout l'amour : un combat enraciné dans l'hostilité d'un échange de regards. Ayant pour origine un fait divers sanglant, Le Rouge et le Noir y puise une singularité tranchante.
Loin d'une fresque abstraite, le roman a tout d'un corps rouge du sang qui s'y écoule, noir de la poudre qui y brûle.
Au cours de la guerre de Sécession, cinq Nordistes : l'ingénieur Cyrus Smith et son chien Top, le reporter Gédéon Spilett, le Noir Nab, le marin Pencroff et le jeune Harbert, prisonniers des troupes séparatistes, se sont enfuis en balIon. Pris dans la tempête, ils échouent sur une île déserte, en plein océan Pacifique.
Ingénieux, persévérants, les cinq compagnons, pourtant privés de tout, ne tardent pas à s'organiser, à vivre presque normalement. D'ailleurs, l'île, qu'ils baptisent du nom de Lincoln, offre des ressources admirables et tout à fait inattendues. Mais une série de faits inexplicables, des coïncidences troublantes les obligent à croire à la présence d'une puissance mystérieuse qui les épie sans cesse et conduit leur destinée, leur imposant sa volonté par des voies détournées, intervenant pour les sauver aux moments critiques...
L'Ile mystérieuse, un des très grands romans de Jules Verne, cet enchanteur aux charmes inépuisables.