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Fario
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La Montée du nazisme réunit neuf textes que Joseph Roth a écrits entre 1924 et 1939 pour des journaux allemands (Der Drache, Das Neue Tage-Buchs, Pariser Tageblatt) parmi ceux, nombreux, auxquels il a collaboré jusqu'à sa mort. Car le grand romancier autrichien était aussi un grand journaliste.
Dès les années Vingt, Roth fut attentif aux signes d'un bouleversement en marche dans la mentalité du peuple allemand. Ce dernier était gagné comme sous l'effet d'une infection proliférante par le nationalisme. Roth le dénonça au moyen d'une très fine observation du changement des moeurs et dans un style ironique souvent caustique. Quelques exemples : il s'intéresse au vote des femmes nationalistes dont il fustige la bêtise autant que la laideur. Roth s'inquiète également du comportement brutal d'une horde de «?nationaux?» en goguette le jour de Pâques, la matraque à la main, onanistes autant qu'antisémites. C'est dire ! Il dénonce aussi le meurtre par un brigadier de police de deux des trois ouvriers sur lesquels il a tiré parce qu'ils chantaient un lied écrit par l'écrivain juif Heinrich Heine, et non un chant patriotique.
Après avoir annoncé la mort de la littérature allemande devenue, avec le nazisme et sur le modèle soviétique, exclusivement officielle?; après avoir dénoncé la mascarade wagnérienne qui masqua théâtralement l'hitlérisme et par laquelle le snobisme européen s'est laissé séduire?; après avoir évoqué le chêne de Goethe à Buchenwald, seul arbre de la forêt auquel on n'a pas pendu les déportés, Roth s'intéresse, dans la deuxième partie du livre, à la Chanson des Niebelungen, récit mythologique auquel s'est abreuvé le national-socialisme. Y sont glorifiés sournoiserie, trahison, perfidie et assassinat. Joseph Roth en relate les grandes lignes puis en dénonce, avec Goethe, le fondamental et radical paganisme. Comment l'Autrichien Roth aurait-il pu faire d'un pays se réclamant de telles valeurs, sa patrie?? En 1933, il s'exila à Paris où il mourut avant la déclaration de la Seconde Guerre mondiale. -
Coeur de neige s'apparente au genre du conte animalier dont les protagonistes sont, comme on s'y attend, anthropologisés, mais dont rien dans le déroulement de l'histoire n'est invraisemblable, bien au contraire : le merveilleux réside au coeur de la réalité quotidienne. Il y est question d'un couple formé par Tacite, « un chat de gouttière au pelage noir et aux manières calmes » travaillant comme ingénieur dans une centrale nucléaire, et de Bruhle, « une chatte angora qui, à l'époque de leur mariage, suivait des études d'architecture et depuis s'était installée à son compte dans un commerce de lingerie fine ».
Ce couple ressemble à tous les couples chez qui alternent, on ne le sait que trop bien, des périodes de lumière et d'ombre. Mais il se trouve que cette vie conjugale réserve à Tacite plus souvent l'ombre que la lumière. Tacite conçoit vite qu'il est devenu, aux yeux de celle dont il est censé partager la vie, totalement transparent si ce n'est parfaitement inexistant. Un souvenir d'enfance, où le portrait des parents de Tacite est brossé, précise la précarité financière de la famille dans laquelle il a grandi, et révèle que Tacite connaît d'expérience l'alternance de la lumière et de l'ombre - l'école lui a ainsi réservé des leçons d'écriture et de vie, ce qui est la même chose.
Au passage, en voici une : « On peut fort bien vivre une vie que l'on ne vit pas. On peut indéfiniment supporter ce que l'on ne supporte plus. » Puis Brulhe la négligente finit par disparaître et par plonger Tacite dans des ténèbres définitives. Le chat réalise alors que la seule lumière qui l'a illuminé émanait d'elle seule. La fin de l'histoire a lieu durant la nuit de Noël où Tacite vide une bouteille de champagne puis fait une expérience aussi innocente et fantaisiste que déterminante - elle nécessite seulement un coeur d'enfant. Vous demanderez sans doute : « Quel est l'enseignement de ce conte ? » Posez cette question aux flocons de neige. Il y a des chances que vous soyez - entretemps amusé, émerveillé mais aussi édifié - durablement éclairé par leur réponse. -
L'humain étranger au monde : écrits d'anthropologie philosophique
Günther Anders
- Fario
- 17 Novembre 2023
- 9791091902892
Si l'un des gestes les plus significatifs de Günther Anders fut d'accepter de sortir du langage technique de la philosophie académique en raison de l'urgence qu'il y avait à penser et à intervenir devant la destruction à l'oeuvre dans le siècle, on aurait tort d'oublier que sa conception de l'obsolescence de l'homme repose d'abord sur une tentative de discernement de ce qu'est cet humain qui n'a plus cours.
Le présent volume se présente donc comme prolégomènes et socle de ce qui deviendra la critique impitoyable de son époque, qui est aussi la nôtre.
L'anthropologie philosophique dont il est question ici, dans le sillage de Max Scheler et de Helmut Plessner est une façon d'échapper à l'analytique existentiale de Heidegger. À la différence de l'animal, immergé dans un monde qui lui est donné comme un matériau a priori, l'homme, d'abord sans monde, « libre de monde », n'accède à un monde qu'après coup, en devenant homo faber et en construisant a posteriori le monde qui lui manque.
Absolument libre, cet homme fait en même temps l'expérience d'une absence irréductible de liberté. S'il peut disposer librement de son moi, le fait d'être ce moi le dépasse. Il est irrévocablement lui-même et personne d'autre, mais cette existence en tant que moi est en même temps hautement contingente. D'où un problème d'identification avec soi.
Chez l'athée qu'est Günther Anders, l'homme ne se sauve pas de ces tentatives d'identification ratées par un saut dans la foi, à la manière de Kierkegaard, mais par un saut dans l'action. Penser l'homme comme étranger au monde, comme a posteriori, l'oblige à envisager la relation a priori du vivant au monde et à thématiser un « a priori matérial » qu'il explore à travers des objets comme l'instinct, le besoin, la veille et le sommeil.
Mais le parcours d'Anders ne s'arrêtera pas là, puisqu'il insiste finalement sur les limites d'une telle anthropologie, et remet en cause l'anthropocentrisme dont elle peut procéder. Il ne peut que constater la tension voire la dimension « schizophrénique » dont sera marqué sa pensée, entre une distance envers l' anthropocentrisme et son intérêt fervent pour une humanité parvenue au stade de la survie. -
L'obsolescence de l'homme Tome 2 : sur la destruction de la vie à l'époque de la troisième révolution industrielle
Günther Anders
- Fario
- 7 Mars 2012
- 9782953625820
Découvrez L'obsolescence de l'homme - Tome 2, Sur la destruction de la vie à l'époque de la troisième révolution industrielle, le livre de Günther Anders. "Il ne suffit pas de changer le monde. Nous le changeons de toute façon. Il change même considérablement sans notre intervention. Nous devons aussi interpréter ce changement pour pouvoir le changer à son tour. Afin que le monde ne continue pas ainsi à changer sans nous. Et que nous ne nous retrouvions pas à la fin dans un monde sans hommes." C.A.
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Le bois du chapitre : Verdun 1914-1918
Pierre Bergounioux
- Fario
- Theodore Balmoral
- 3 Février 2023
- 9791091902922
Le titre, amphibologique, dit tout. Précisons cependant que la scène a lieu, d'abord, dans les années soixante, à Brive-la-Gaillarde, devant le monument aux morts élevé, place Thiers, à la mémoire des soldats tombés pour la Patrie durant la Première Guerre mondiale. C'est là que se tiennent les cérémonies auxquelles l'enfant assiste, sans réaliser « ce qu'ils furent », tandis que les héros, un à un, disparaissent. Le jeune lecteur ouvre pourtant à la bibliothèque municipale les livres sur l'époque afin d'en apprendre davantage sur les circonstances et les modalités du désastre, pour trouver des explications sur ce qui a eu lieu, la présence des estropiés dont le nombre impressionne. Mais c'est l'incompréhension qui s'impose. Manquent aux livres noyés de gris « le relief, les détails, les finesses ». Et puis l'enfant, tout au présent, est trop jeune quand la réalité se dresse enfin devant lui : l'échelle réduite des reproductions qui est censée la représenter mais, en partie, la trahit.
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Un théâtre de l'être : L'aventure du psychodrame
Bernard Touati
- Fario
- Le Silence Des Sirenes
- 15 Janvier 2025
- 9782385730291
Qu'en serait-il de l'inconscient sans les mots ? Telle est la question que ce livre singulier permet d'aborder. Depuis plusieurs décennies, Bernard Touati travaille avec des enfants et des adolescents dont la pathologie est variable mais qui tous parlent peu, ne parlent pas, ou parlent autrement. Et pourtant, mettant à profit la technique du psychodrame psychanalytique, il parvient à établir avec eux un lien particulier qui leur permet de déployer la profondeur psychique de leur histoire. Avec ou sans mots. Car s'il y a les mots, il n'y a pas que les mots.
C'est de cette aventure qu'il s'agit dans ce livre ; comme des ébranlements qu'elle provoque dans nos opinions et convictions sur l'inconscient et sa relation au discours. Le psychodrame incite en effet à voir l'inconscient déployé comme un jeu, un échange, des fulgurances inattendues qui initient des partages et des méandres imprévus. Il incite aussi à un regard différent sur la présence des corps et la suspension de la motricité dans l'analyse classique.
La clinique dont il est question ici est exceptionnelle à bien des égards. Elle concerne des patients affectés de pathologies extrêmes, supposés peu enclins au jeu. Mais au fil des scènes, ce que cette pratique hors du commun révèle, c'est que traumatismes et douleurs, qui ne sauraient s'exprimer dans le seul champ du langage et de la verbalisation, affectent tout l'être, corps et âme, et demeurent, quel qu'en soit le caractère violent ou insolite, toujours ouverts au partage d'une expérience humaine. -
Carnets : en un mot comme en quatre
Samuel Taylor Coleridge, Antonin Artaud
- Fario
- 1 Mars 2024
- 9782385730055
« En un mot comme en quatre, Samuel Taylor Coleridge, comme un certain nombre de poètes notoires à qui comme à lui il fut ordonné de se taire par tels moyens de brimade occulte auxquels il serait temps enfin d'apprendre à résister, Coleridge, dis-je, avait eu vent d'une vérité qu'il n'a pu transmettre à personne et qu'il n'a pu faire passer dans ses poèmes que de très loin (...) » Ainsi commence cet étonnant commentaire des Carnets par Artaud, en 1947, lequel poursuit un peu plus loin : « Car ce qui reste de Coleridge dans ses poèmes est encore moins que ce qui de lui-même est resté dans sa propre vie. » Ces quelques lignes disent assez la proximité profonde, intime, presque indicible en réalité, qui, à un siècle distance, lie Coleridge à Antonin Artaud.
Peu de temps après le retour d'Antonin Artaud de Rodez, Henri Parisot lui demanda d'écrire une préface pour une traduction qu'il préparait de poèmes de Coleridge. Entre juillet et octobre 1946, Antonin Artaud entreprit à plusieurs reprises d'écrire cette préface sans parvenir à une forme qui le satisfasse. Finalement il envoya en novembre un texte à Henri Parisot sous forme de lettre à laquelle il donna le titre de « Coleridge le traitre ». Texte sur lequel il pratiqua par la suite nombreuses corrections manuscrites. Écrit en juin 1947, au moment où Artaud apportait d'ultimes remaniements, le fragment présenté ici, constitue vraisemblablement l'un de ces addendas. Les deux oeuvres (les Carnets de Coleridge et le texte d'Artaud) ont été publiées ensemble dans la revue L'Ephémère (n° 17) de l'été 1971. -
Entre 1802 et 1817, Joseph de Maistre, qui vivait déjà en exil, en Italie ou en Suisse, depuis l'annexion de la Savoie par la France, est envoyé en Russie, à Saint Petersbourg, où il sera ambassadeur du roi de Sardaigne, Victor-Emmanuel Ier. Il a alors laissé derrière lui sa femme, ses deux filles, Adèle et Constance, et son fils Rodolphe. Il n'a jamais vu de ses yeux la plus jeune, née alors que la famille était dispersée dans la fuite.
Les lecteurs de Joseph de Maistre, de Baudelaire à Tolstoi, savent qu'un grande part de son travail d'écriture fut vouée à une correspondance magistrale, diplomatique mais surtout philosophique, constituée parfois de véritables essais et dont le charme éclot bien loin de l'austérité dont on a parfois affublé son auteur. Mais au milieu, au coeur devrait-on dire, de cet ensemble colossal surgissent les lettres bouleversantes à ses trois enfants, dont il ne sait pas seulement quand et même si il les reverra. On constatera que l'éducation épistolaire qu'il dispense ou s'astreint à professer, lorsqu'il s'adresse à ses filles, repose sur une idée que l'on dirait révolue : la différence des sexes. Que la nature de cette différence, pour cet amateur de Molière, nous semble désormais lointaine n'en diminue pas la fonction. Les filles ne s'en laissent pas compter et le père semble savoir déjà qu'il n'aura pas le dernier mot.
Mais le débat qu'il entretient, parfois avec malice, quant à la place des femmes dans le monde n'est au fond qu'un prétexte. Pour être paternelles, et sans doute lumineusement patriarchales, ces lettres sont, avant tout, de somptueuses et émouvantes lettres d'amour.
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En 1954, en liminaire du texte éponyme, Ponge annonce son propos : « provoquer une modification de l'idée de fleurs, en y faisant rentrer bien des choses tenues à l'écart jusqu'ici. » Dans cette perspective, il réunit sous ce titre singulier divers écrits consacrés aux végétaux, ou plutôt au végétal, depuis 1926. L'entreprise poétique de l'auteur du Parti pris des choses se double ici d'une recherche théorique, pourrait-on dire, encore accrue. Il s'en explique en évoquant le projet de « faire adopter une idée philosophique de cet objet ou plutôt, de ce moment de tout individu, de tout être. » Nous ne sommes plus là en face de ces courts moments d'éblouissement poétique consacrés aux « choses » auxquels Francis Ponge nous a accoutumés, mais bien dans la traque méthodique, patiente, exhaustive, organisée d'une essence. Ce texte à part dans l'oeuvre de Ponge, particulièrement magnifique, profondément philosophique, a été publié au printemps 1968 dans la revue L'éphémère (n° 5), puis à fait l'objet d'une nouvelle publication par Gallimard en 1992 dans l'ouvrage Nouveau nouveau recueil.
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Ce livre instaure un débat, dans la société allemande des années 80, autour du pacifisme et de la lutte contre la nucléarisation du monde. S'il s'inscrit dans l'après Tchernobyl, ses conclusions, l'impossibilité de ne pas recourir à la violence comme légitime défense, dépassent de loin le cadre de sa publication initiale.
Qu'il s'agisse de Fukushima, qui est une réalité et non un symbole, ou de tout autre projet destructeur en provenance de l'industrie et de l'État réunis en consortium, ces pages sont d'une indéniable actualité.
Le livre intègre toutes sortes d'objections et de contributions adressées à Günther Anders lors de la parution d'un premier article. Il est également constitué d'entretiens, réels ou fictifs, dans lesquels on découvre un Anders politique, non seulement un critique radical de l'État mais aussi un auteur capable de provoquer une société entière pour l'inviter à réagir.
Il s'inscrit dans la suite de Hiroshima est partout, de La Menace nucléaire et ce titre, il vient heureusement compléter les textes déjà traduits en français et introduire en France les termes d'une discussion qui n'y a guère été menée.
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Mon reliquaire : Supplément à Corpus Christi
Jérôme Prieur
- Fario
- Theodore Balmoral
- 15 Novembre 2024
- 9782385730307
Jérôme Prieur retrace dans ces pages l'aventure intellectuelle qui fut la sienne pendant vingt ans. Elle a complètement bouleversé son existence, marquant sa vie, dit-il, «d'un avant et d'un après». Inaugurée par la série télévisée diffusée sur Arte, Corpus Christi, cette aventure a pour thème les origines du christianisme au travers de l'étude de l'Évangile selon Jean. Elle constitue ce que Jean Starobinski a considéré comme une gageure : l'expérience d'une lecture purement littéraire d'un texte évangélique. Si cette lecture, par son extériorité même, semble inadéquate aux yeux des catholiques, c'est parce qu'elle s'ajoute à toute l'exégèse «qu'elle ignore ou feint d'ignorer» et parce que, surtout, elle n'est pas celle d'un croyant. En conséquence, l'enjeu du recueil Mon reliquaire est de taille : s'il en va du rapport des textes à la vérité historique, il en va alors nécessairement de la dimension littéraire de ces textes dits «sacrés».
Suivent des textes qui précèdent, accompagnent, éclairent, expliquent cette aventure intellectuelle. Il y est question d'une visite au poète et traducteur du Nouveau Testament, Jean Grosjean; du journal de voyage qui raconte, avec d'éclairantes anecdotes, les coulisses du tournage de Corpus Christi; d'un portrait contradictoire de Jésus : est-il un prophète, le Messie ou bien Dieu?; de la Résurrection du Christ qui n'est racontée, on ne le croirait pas, dans aucun des évangiles; de l'abracadabrantesque suaire de Turin; d'une lettre adressée à Emmanuel Carrère après la lecture de son livre Le Royaume au sujet de l'histoire des débuts de la chrétienté; du caractère véritablement fantastique de l'épisode de la Pentecôte; des Actes des apôtres, livre, aux yeux de l'auteur, par son caractère assurément fictionnel le plus déroutant du Nouveau Testament; d'une lecture du livre de Bruno Ballardini, Jésus lave plus blanc, dont la thèse est que le christianisme a inventé le markéting et que, depuis Jean-Paul II, il en a utilisé les techniques les plus modernes à son bénéfice; d'un long portrait de l'abbé Loisy, prêtre excommunié en 1908 par le pape Pie X pour avoir écrit L'Évangile et l'Église - livre qui, en s'interrogeant sur les relations que les textes entretiennent avec l'histoire, ruine les fondements principaux de la foi chrétienne (en pointant notamment le caractère non historique de la Résurrection) - et pour n'en avoir rien abjuré.
De quoi illustrer, on l'aura compris, la formule de l'historien Pierre Geoltrain : «La plus grande réussite du christianisme, c'est sa littérature.»
Jérôme Prieur est un écrivain et un cinéaste français né en 1951 à Paris. Il a écrit plus d'une trentaine de livres et réalisé plus d'une soixantaine de films dont trois séries sur les origines du christianisme pour Arte, dont le fameux Corpus Christi au retentissement considérable. Les éditions Fario ont republié en 2021, dans la collection «Théodore Balmoral», son livre Lanterne magique, Avant le cinéma. Cette archéologie du cinéma passe par celle de l'image lumineuse à partir de deux livres, Du côté de chez Swann de Marcel Proust et les Mémoires d'Étienne-Gaspard Robertson (1763-1837), l'inventeur de la fantasmagorie qui fit carrière sous le Directoire et le Consulat. -
Lorsque un poète entre dans la prose, c'est peut-être, nolens volens, avec l'espoir, l'attente, d'en découvrir des mystères nouveaux, d'en faire jouer des ressorts inconnus. Et d'en corrompre les genres établis. Ici, avec ce Manuscrit domestique, une forme d'autobiographie se risque pas à pas, comme discrètement, sur une crête étroite entre fiction et souvenir. Le paysage se distingue à peine de la géologie, les générations s'emmêlent, semblent se fondre les unes dans les autres, les chronologies s'effacent ou se disloquent sous le poids de la répétition, les profondeurs de champ varient, les contours de l'auteur et du narrateur s'entretissent et puis, parfois, s'estompent.
La mise en forme d'un passé, d'un possible passé, s'effectue à travers un réseau de fragments disjoints dont la succession paraît à première vue incertaine, aléatoire : l'écriture elle-même tente de recomposer les jeux et les effets de la mémoire chez un sujet toujours à naître. L'Histoire, par exemple, celle des années de guerre et de fascisme, surgit à la hauteur des yeux d'un enfant : la somme un peu floue de récits dans la famille ou le village, de rumeurs et de suppositions dont la demi clarté ne survient que tardivement, dans l'après-coup. Ou bien des évènements traversés - la mort de Pasolini, les élans de 1968, un tremblement de terre - ne se donnent qu'à travers l'angle aigu de la surprise, d'une déconvenue, d'un deuil personnel, latéral.
Et la vie consciente du souvenir se distingue à peine de celle des rêves, elles ont toutes deux le même statut narratif, elles sont de la même trempe, de la même substance.
L'existence semble arrimée à quelques foyers d'image ou de récit, et bien souvent, notons-le, le coeur en est l'absence : importe ce qui n'a pas eu lieu, ce qui s'est dérobé, rencontres non advenues, amours frôlées, curiosités inassouvies, arrivées tardives. La mort règle les comptes. Elle s'appelle Destin. Dans la nuit du coeur comme dans celle du monde, le poète est un veilleur.
On imagine mal aujourd'hui, en ces temps de ferveur exhibitionniste, comment la vie de l'âme et du corps peuvent s'écrire avec tant de sobriété et, au fond, de délicatesse. Mais il en va, dans cette étrange simplicité, dans cette réserve prudente, beaucoup moins de la pudeur que de la vérité.
*
« Les journaux, partout sur la planète, continuent à bavarder, pour la plupart dans des langues incompréhensibles : on perçoit la gravité d'une nouvelle à une ombre très légère dans le regard du présentateur. Les agences de presse sont promptes à annoncer la fin du monde.
Dans l'intérieur domestique chacun affronte ce vide en se fiant à ce qui lui est habituel. Pour un qui ferme les yeux de fatigue, un autre va au lit par désespoir ; même la vieille mère s'éloigne lentement, avec sa bouillote sous le bras et le chat qui la suit pas à pas. Donc j'attends. Les portes des chambres restent entrouvertes, autrement le coeur se couvre trop. [...]
Je refais mon parcours intérieur, sur la pointe des pieds. Maintenant tous sont endormis : qui sur le flanc, avec le chat entre tête et cou, qui recroquevillé, encore avec ses lunettes de travers, la mère semble un masque de cire, je m'approche pour en capter la respiration, le mouvement de sa poitrine. Mon soupir. Maintenant je peux reprendre mon poste : dehors le ciel ne transmet rien, même pas une lumière d'univers ; tout autour, chaque être est enveloppé dans le mystère de la survie. Les routes sont désertes. »
E. D.S. -
Paru en 1958, Le Repos du cavalier rassemble huit proses qui consacrent une errance du marcheur, en quête d'une réponse qui ne peut être aperçue ou sentie que fugace, instantanée, labile : elle surgit ici, quelque fois, sous une forme ou une autre, et c'est toujours le sentiment d'une présence. Le plus souvent à une distance d'astres des autres vivants, l'homme sans but qui glisse au fil des brumes et hante ici les paysages du Haut-Jorat croise cette présence : la fleur qui lui fait signe, la bête qui lui offre un chant ou un regard, le paysan tenant au poing son outil ou menant son cheval, l'ami lointain qui soudain revient dans le coeur et dont le pas soudain est plus qu'un souvenir, le moissonneur mort qui franchit le seuil de l'auberge et que nul ne voit plus désormais. C'est affaire d'attention, de patience, et de fragilité. C'est l'affaire d'un instant, d'un « éclair infini ». Et puis tout se referme, une lueur se noie dans le grand flot des innombrables , l'homme est repris par la cohue des foules et l'implacable étau du temps.
L'écriture aurait-elle alors la charge de rendre à ces présences, à ces invisibles, une provisoire éternité ?
* « La Vérité ne pourra jamais nous atteindre. Elle nous cerne de son jeu d'échos et de reflets insaisissables, elle nous effleure soudain comme l'aile du vent frais l'épaule des faucheurs, et fuit... Et nul, parmi ceux que brûle la soif de l'innocence n'en découvrira jamais la source. Seul un miroitement parfois la dénonce à travers les broussailles du réel, comme il arrive aux rivière endormies, mais cette lueur est plus précieuse à notre coeur que son propre sang. Qui l'a surprise un jour, apparue, disparue, au plus profond d'un regard humain n'aura plus désormais d'autre poursuite. Ô sourde quête au long de toute une vie de sable et sous les faux orages de l'aridité ! » G.R.
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Sept familles ? Ce sont celles que Jacques Réda reconnaît ici comme autant de familles d'adoption ou de familles d'accueil : elles auront littérairement nourri et édifié l'auteur de L'Herbe des talus. Sept familles ? Ce sont celles de sept écrivains, plus ou moins de la génération de son propre père, et qu'a connus l'auteur, comme on dit, de leur vivant.
Le directeur de la NRF qu'il fut de 1987 à 1996 est devenu, autant par admiration que par affinité partagée, leur ami et il propose ici, comme une reconnaissance de dette, à la fois de parlants portraits et, pour chacun d'eux, une des poétiques des plus pointues, une esthétique des plus justes qui leur ait jamais été consacrées. Car Jacques Réda -on l'oublie trop souvent si on ne l'ignore pas - est l'un des lecteurs les plus fins qu'a connus la littérature française de notre époque.
Sept familles ? Il s'agit, dans l'ordre alphabétique, de celles de Jean Follain, d'André Frénaud, de Lorand Gaspar, de Jean Grosjean, de Louis Guillaume, de Francis Ponge, de Jean Tardieu - et puisqu'il faut toujours qu'une pièce rapportée élargisse heureusement chaque famille, au risque de faire mentir notre titre : de l'impayable Raymond Queneau.
Les lecteurs auront ainsi la chance de redécouvrir des auteurs essentiels pour la compréhension de l'histoire littéraire de la fin du XXe et du début du XXIe siècle et - clé unique pour la compréhension de son oeuvre- de la bibliothèque intime de Jacques Réda.
Jacques Réda est né le 24 janvier 1929 à Lunéville.
Du même auteur, les éditions Fario ont publié dans la collection Théodore Balmoral, Le Chant du possible, écrire le jazz, en 2021 et avec Alexandre Prieux, Entretien avec Monsieur texte en 2020. -
Correspondance 1939-1975 suivie d'écrits croisés
Günther Anders, Hannah Arendt
- Fario
- 8 Mars 2019
- 9791091902465
Hannah Arendt et Anders ont été brièvement mariés avant que de se séparer dans l'exil et les cheminements intellectuels distincts, séparés. Mais il semblait jusqu'ici que ces chemins ne s'étaient plus jamais croisés, et qu'une distance s'était instaurée. Ce livre, paru l'année dernière en Allemagne, constitue de ce certain point de vue une révélation : tout au long de plusieurs décennies, de 1933 à 1975 l'un et l'autre n'ont jamais cessé de s'écrire, d'évaluer mutuellement leurs avancées ou leurs difficultés à être, à écrire, à penser, et dans l'épreuve, de se soutenir.
Cette correspondance s'étend sur deux périodes distinctes :
1939-1941 : années d'exil avec des lettres d'Arendt depuis le Sud de la France puis les Etats-Unis, témoignant de son errance avant de pouvoir embarquer, via le Portugal, vers New-York, puis de son installation dans cette ville avec son mari et sa mère, de la reprise de l'écriture pour l'un et l'autre, des multiples engagements et démarches pour sauver ou accueillir les proches fuyant le nazisme.
1955-1975 : années du retour en Europe pour Anders et de l'installation définitive aux États-Unis pour Arendt, les derniers échanges se poursuivant jusqu'à la mort de celle-ci en décembre 1975. L'un des fils rouges de ces lettres est la question des retrouvailles impossibles : maints plans pour se retrouver dans une ville européenne à l'occasion d'une conférence ou d'un voyage sont ainsi échafaudés et finalement échouent. Mais l'un et l'autre demeurent très attentifs à leurs travaux et livres respectifs et les lettres laissent entrevoir des échanges téléphoniques. Hannah Arendt meurt avant que le projet de rencontre puisse aboutir, cette « impossible rencontre » venant peut-être métaphoriser l'écart maintenu de part et d'autre, au delà d'une reconnaissance mutuelle et d'une sorte de familière et évidente disputatio entre leurs oeuvres.
Ce volume contient également des textes écrits en commun ou que l'on pourrait dire «croisés» :
Un texte sur les Élégies de Duino de Rilke signé conjointement; deux textes écrits séparément mais simultanément et en écho l'un à l'autre sur un ouvrage de Karl Mannheim, Idéologie et Utopie, ainsi que deux poèmes sur Walter Benjamin.
Après un robuste appareil de notes qui constitue une source d'informations très riche sur le milieu des émigrés allemands ou les cercles intellectuels proches des deux correspondants, l'ouvrage est conclu par une remarquable étude de Kerstin Putz. -
Publié en 1927 et initialement destiné à une préface de Lucien Leuwen, ce texte est le portrait fulgurant d'un égotiste et de son drame : un homme partagé entre le souci d'entrer dans la gloire et l'orgueil suprême d'être unique, d'être lui-même. « Vivre. Plaire. Être aimé. Aimer. Écrire. N'être pas dupe. Être soi, - et pourtant parvenir. Comment se faire lire ? Et comment vivre, méprisant ou détestant tous les partis. » Ce questionnement conduit Valéry a une lumineuse réflexion sur la sincérité et sur la foi. Il n'est sans doute pas exclus de présumer que cette admiration pour un insolent est le prétexte d'un examen de conscience de son auteur par lui-même. Et qu'au travers des années, le toujours jeune Henry Beyle tend encore aux hommes sérieux de la postérité, c'est à dire à chacun d'entre nous, plus qu'une caricature : un miroir.
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Il y a ce que l'on constate, ces pôles qui fondent et ces vents d'une violence inconnue, cette vie dont le nombre des espèces si rapidement s'amenuise, ces foules sans horizon et sans boussole, ces eaux qui montent, ces contaminations, ces embrasements inquiétants un peu partout. Il y a également ce qu'on peut lire, lorsque 15 000 scientifiques de toutes disciplines s'alarment et lancent ensemble un rappel de ce qu'il n'y en a plus pour longtemps à continuer à ce train, et que passé un certain seuil il sera trop tard. (Comme si le seuil n'était pas déjà loin derrière nous.) Et puis tout continue comme si de rien n'était : l'existence confortable administrée et sous vidéosurveillance, l'abreuvement continu au flux des divertissements dispensés par les fermes de serveurs et à celui des idioties récréatives du réseau, l'épanouissement béat de la mondialisation heureuse, son indifférence à tout ce qui n'est pas son propre miroir, la conviction qu'elle entraîne de sa perfection, de son progrès inévitable, de ses roues bien huilées.
C'est cette inertie, ce déni de réalité, ce défaut majeur d'attention, cette indignité morale aussi, qu'examine ce livre, comme si l'humanité suivait un cours écrit ailleurs, ayant manqué le signal des quelques bifurcations qu'il lui aurait été loisible d'emprunter.
Non sans préserver les traces, photographiques ou pensives, de ce qui nous fut laissé en legs, parmi les ruelles à peu près désertes d'un vieux bourg de province où subsistent, entre les pavés disjoints, quelques unes de ces herbes que l'on dit folles - sans doute parce qu'elles n'avaient pas été prévues dans les calculs.
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A partir de textes appartenant aux mémoires historiques ou à la littérature (ceux de Napoléon Ier, de Cavalié-Mercer, de Custine, Saint-Simon, Montesquieu, Pouchkine) ; à partir de l'oeuvre de Marx qui, nous rappelle-t-il, a séjourné en France ; à la suite de Boris Souvarine établissant des parallèles entre le régime policier russe du tsar Nicolas Ier et le régime communiste de l'URSS de Staline, Pierre Bergounioux définit ce que, considérant ce qu'en ont écrit parmi d'autres Gogol, Tolstoï, Dostoïevski, l'on a appelé l' "âme russe" - quand Custine regarde précisément les Russes comme "? des machines incommodées d'une âme ? ".
S'interrogeant sur les raisons de la disparition du "socialisme réel" , dont l'hypothèse la plus courante incrimine, avec Karl Wittfogel, le despotisme oriental, Bergounioux convoque les analyses d'Eric Hobsbawm : les Bolchéviks "ont cru possible de passer du féodalisme au socialisme en escamotant le stade capitaliste" , et de John Kenneth Galbraith : "L'égalité du partage a guidé le législateur soviétique mais la faiblesse de l'appareil productif est telle qu'il n'y a rien ou presque à partager" .
Cependant, selon Bergounioux, "rien n'éclaire l'histoire d'un peuple comme sa littérature" . Si bien que c'est vers elle qu'il faut se tourner pour comprendre la Russie, la terreur qui la gouverne. Et quand il s'agit de distinguer les écrivains français et les écrivains russes, un trait revient, implacable : "C'est le péril que [ces derniers] encourent à simplement dire ce qui est". Aussi "c'est le stalinisme qui a tué Essenine, Maïakovski, Marina Tsvetaïeva, envoyé Soljenitsyne et Chalamov au goulag, étouffé, au nom du "? réalisme socialiste ? ", l'expression approchée, authentique de l'expérience à quoi tend, d'âge en âge, la littérature si elle est bien révélation, délivrance".
Pierre Bergounioux relie ainsi les interventions de l'artiste Piotr Pavlenski à l'héritage de ses compatriotes : "Un artiste russe, parce que russe et non pas français, doit payer d'exemple, de sa personne. La chose qu'il dévoile est redoutable. C'est l'Etat, cet organe qui, selon Max Weber, "? monopolise l'usage de la violence physique légitime ? ". Et c'est bien contre Poutine et les oligarques qui ruinent à leur tour le peuple russe que Pavlenski s'élève car, envers et contre tout, "l'aspiration millénaire à la justice, à l'égalité, à la liberté, si elle a disparu de la surface du sol, n'en continue pas moins de cheminer sous terre".
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Dans ces textes qu'il date de 1919 à 1969, Gustave Roud marche, hante tout autant qu'il l'explore le paysage ouvert dans les collines du Haut-Jorat qu'il aura arpentées toute sa vie. Parfois proches du Journal, ces notes très écrites, d'où émerge parfois un poème, parcourent les lieux et les gestes d'un monde rural que Roud a côtoyé, dont il était issu et qui aura constitué peut-être sa vraie famille. C'est d'ailleurs à ces « amis laboureurs » qu'il dédie ce livre écrit au long d'un demi siècle : « le temps, précise-t-il, pour l'ancien monde paysan de n'être plus ». La fureur des moteurs et des foules a élargi les routes, rompu la vieille harmonie, ruiné le visage encore paisible de ce monde.
Nulle exaltation d'une étroite possession de la terre, ici, mais plutôt le questionnement infini de ces signes promis aux sens et au coeur : le chant d'un oiseau, « sa détresse ou son délire », l'éclosion d'une fleur « dans l'absolu de son être », le ruissellement d'une eau dans la lumière ou celui des étoiles au fond de notre nuit. Les manières des hommes, leurs travaux réguliers, l'accord toujours renouvelé de ces vies avec les saisons, ces existences « soumises au rythme le plus noble et le plus strict », Roud a tenté de les approcher en humble vagabond qu'il était, puis en poète de les sauver.
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Ce volume est constitué de textes, réunis par Anders en 1984, portant sur l'art et la littérature. Ce sont des textes de différentes époques (le plus ancien, l'étude consacrée à Berlin Alexanderplatz, date de 1931, le plus récent, une étude des 87 paraboles de Brecht regroupées sous le titre Les Histoires de Monsieur Keuner, date de 1979) mais renvoyant tous à des écrivains et artistes représentant une certaine modernité littéraire et artistique. Cette modernité, Anders ne se contente pas de souligner les ruptures formelles qui la caractérisent. Ces oeuvres ne sont pas pour lui des objets contingents. L'étude consacrée à Berlin Alexanderplatz est autant une contribution à l'anthropologie philosophique qu'une étude littéraire et contient déjà des éléments du premier tome de L'Obsolescence de l'homme ; l'étude consacrée aux paraboles de Brecht - sur lesquelles s'était déjà penché Walter Benjamin - est menée par le fabuliste auquel on doit tant de « paraboles » molussiennes.
Que l'homme soit « sans monde » renvoie pour Anders à plusieurs niveaux d'approche : les « Hommes sans monde » sont d'une part les pauvres, les précaires et les chômeurs dans la société capitaliste, mais ce sont aussi tous les hommes en tant que par essence, ils sont « non fixés» et devant « à chaque époque, en chaque lieu, voire jour après jour » se donner un monde. La perspective historique de cette anthropologie philosophique, dont Anders rappelle ce qu'elle doit à Marx et en quoi elle s'inscrit en faux contre l'être-au-monde heideggérien, donne son style singulier à la critique andersienne et s'inscrit dans le sillage des travaux de Max Scheler et Helmuth Plessner. Enfin, la problématique de l'Homme sans monde prend un nouveau sens à l'époque du multiculturalisme, où intériorisant tant de mondes différents, l'homme n'a finalement plus de monde propre.
À une introduction succèdent cinq «chapitres» regroupant des études consacrées à trois écrivains (Alfred Döblin, Bertolt Brecht et Hermann Broch) et deux artistes (John Heartfield et Georg Grosz). À l'exception de Heartfield, Anders a connu ces écrivains et artistes ou au moins échangé avec eux.
Günther
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« Qu'est-ce qu'une mère ? » est la question à laquelle ce livre prétend ne pas répondre. Question trop vaste, insondable, autant que son objet lui-même. On se tient donc, on s'en tient donc au bord. Le bord d'une mère, c'est peut-être son image, comme première désincarnation, dont on se défait mal : un malentendu ou un trop bien vu ? Et c'est d'une image que part Michel Gribinski pour aborder, une image de sa mère dont aucun récit ni aucun commentaire n'aura épuisé tout à fait l'énigme.
Comme il est préférable de ne pas demeurer seul sur le rivage, l'auteur fait appel à des compagnons. À des écrivains mais aussi à des psychanalystes qui ont écrit à leur mère. Remarquable le fait que beaucoup écrivent alors qu'il est trop tard, que leur mère a disparu : la distance d'un au-delà serait-elle propice, voire indispensable à ce dernier recours, épistolaire ? D'une bibliographie dont on peut dire qu'elle est tout sauf homogène - les mères sont fort diverses, celle de Simenon n'est pas celle de Léautaud -, il ressort toutefois une sorte d'ostinato dont la clé serait la plainte. La mère est celle à qui s'adresse toute plainte, toute réclamation ; et peu importe au fond l'objet de cette réclamation, le mouvement qui la porte est l'essentiel.
Si la question initiale demeure en suspens, c'est aussi que ce qui cherche à s'écrire est du côté de l'impensable. Au point que le maternel, la substance des mères pour ainsi dire, serait justement le contrepoint de la chose pensante, du logos, mais aussi son envers : du côté de la chose étendue, de la matière. Le « grain » ou la « chair » que l'on prête aux mots parlent de ce versant de l'écriture.
Ce qui se dessine enfin, c'est la question de la permanence : entre l'enfant, aussi ancien soit-il, et sa mère, il faut que quelque chose ne bouge pas, il faut du stable, du perpétuel, et qui sait, de l'intangible. Et si l'amour, même sans limites, ne suffisait pas, s'il n'était pas éternel, alors il y aurait plus sûr, plus indéracinable : la haine. Elle est souvent au rendez-vous. -
Blocus sentimental : L'hiver qui vient
Jules Laforgue
- Fario
- La Bibliotheque Des Impardonnables
- 13 Janvier 2023
- 9791091902861
C'est à Edouard Dujardin et Félix Fénéon que l'on doit la première édition, sous le titre de Derniers vers, des poèmes donnés ici. Les deux écrivains firent en effet paraître posthume, en 1890 et à 57 exemplaires (sur souscription) cette suite, à côté des Fleurs de Bonne volonté et du Concile féerique. Si pour ces deux derniers ensembles les titres sont du poète, « Derniers vers » est une commodité d'usage à laquelle l'inventeur malgré lui du « monologue intérieur » et l'auteur des Nouvelles en trois lignes eurent recours. Les douze pièces d'un ensemble où culminent plusieurs sommets de l'art laforguien, avaient paru pour la plupart en préoriginale dans divers numéros de La Vogue en 1886. En 1894, Vanier les reprendra à son tour dans son éditiondes Oeuvres complètes. Par conséquent, voilà exactement 132 ans (sauf erreur de calcul ou omission bibliographique) qu'au fil des rééditions ces « derniers vers » - point final d'une oeuvre où les merveilles surabondent -, attendaient de paraître séparément. Ce simple exemple illustre l'une des vocations particulières de la Bibliothèque des Impardonnables: offrir au lecteur un recueil et lui seul, sans l'enchâsser dans une édition qui réunit plusieurs titres en un seul volume.
Nous ne ferons à personne l'injure de rappeler quel poète fut Jules Laforgue, ni quelle influence exercèrent son esprit, sa manière et son ton sur quelques-uns des plus grands poètes du XX e siècle et sa modernité, dont T.S. Eliot.
Entrons plutôt aux domaines où nous invite un automne où « les cors font tontaine », et sonnent l'hallali. C'est la saison où « tous les bancs sont mouillés », où l'«on ne peut plus s'asseoir ». Oui, c'est l'hiver qui vient. Aussi, au seuil de cette grande saison de l'âme, décrétons avec le poète, d'une voix unanime, un Blocussentimental. -
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François est le prénom d'un frère imaginaire. Un frère aîné, dont la présence tutélaire aurait permis à Pierre Bergounioux de recoudre les lambeaux épars d'une insondable origine. François est celui qui aurait su. Qui aurait été le témoin des derniers feux d'une histoire familiale déchiquetée par les deux guerres qui se sont succédées dans la première moitié du vingtième siècle.
Si les accidents géologiques, et géographiques, disposent sans ménagements de l'âme des êtres auxquels ils ont échu, ces opérations ne s'accomplissent que dans le temps, celui de l'histoire collective. Pour comprendre l'absence au monde d'un père, prendre la mesure de sa mélancolie, il a manqué à Pierre Bergounioux les quelques repères qui lui auraient permis de retisser les liens, de saisir le double enfermement où il a, dès l'abord, résidé : celui d'une province enclavée, sans réel contact avec les confins radieux des plateaux calcaires et ensoleillés du Quercy, entraperçus au sud du Limousin, d'une part, celui du mutisme radical d'un paternel que la présence d'un fils n'a jamais pu ranimer, d'autre part. C'est donc dans les limbes que ce livre profond et émouvant se faufile, à travers les linéaments d'une ascendance tenue comme au secret et qu'il lui a fallu reconstituer à partir de quelques fragments minuscules pour continuer à vivre, à penser, à s'émouvoir, à la suite d'un homme qui y avait renoncé.