Il y a cent ans, le Sage écrivait ceci en tête de Gil Blas : « Comme il y a des personnes qui ne sauraient lire sans faire des applications des caractères vicieux ou ridicules qu'elles trouvent dans les ouvrages, je déclare à ces lecteurs malins qu'ils auraient tort d'appliquer les portraits qui sont dans le présent livre. J'en fais un aveu public : Je ne me suis proposé que de représenter la vie des hommes telle qu'elle est... » Toute distance gardée entre le roman de Le Sage et le mien, c'est une déclaration du même genre que j'aurais désiré mettre à la première page du Nabab, dès sa publication. Plu- sieurs raisons m'en ont empêché. D'abord, la peur qu'un pareil avertissement n'eût trop l'air d'être jeté en appât au public et de vouloir forcer son attention. Puis, j'étais loin de me douter qu'un livre écrit avec des préoccupations purement littéraires pût acquérir ainsi tout d'un coup cette importance anecdotique et me valoir une telle nuée bourdonnante de réclamations. Jamais en effet, rien de semblable ne s'est vu. Pas une ligne de mon oeuvre, pas un de ses héros, pas même un personnage en silhouette qui ne soit devenu motif à allusions, à protestations. L'auteur a beau se défendre, jurer ses grands dieux que son roman n'a pas de clé, chacun lui en forge au moins une, à l'aide de laquelle il prétend ouvrir cette serrure à combinaison. Il faut que tous ces types aient vécu, comment donc ! qu'ils vivent encore, identiques de la tête aux pieds... Monpavon est un tel, n'est-ce pas ?... La ressemblance de Jenkins est frappante...